Protection des terres agricoles : Comment dépasser les professions de foi ? | Land Portal

Date: 26 septembre 2016

Source: Impact 24

Par Amar Naït Messaoud

Malgré une myriade d'instructions et de notes adressées, au cours de ces dernières années, par le Premier-ministre et le ministre de l'Agriculture à l'intention des démembrements de l'Etat, des administrations décentralisées de wilaya et des collectivités locales au sujet de la protection des terres agricoles, le message demeure quelque peu « brouillé », dans son application sur le terrain, par différents facteurs, où interviennent les faiblesses techniques de l'administration à suivre un dossier aussi lourd, l'incompétence de certains fonctionnaires, la gabegie, la corruption et les lobbies.

Autrement dit, le capital le plus précieux que l’Algérie possède, à savoir ses terres agricoles, demeure exposé au danger de dilapidation, aussi bien par le fait de mauvais choix de l’installation des infrastructures et équipements publics -lesquels ont consommé, de 1962 à 2010, quelque 150.000 hectares- que par le pillage et le détournement opérés par la mafia du foncier.

Le sujet de la protection des terres agricoles revient de façon récurrente et régulière, particulièrement dans le contexte actuel de la crise économique, laquelle pousse le gouvernement et tous les acteurs de la société à rechercher des alternatives aux recettes pétrolières qui se sont gravement amenuisées depuis plus de deux ans, et à assurer une relative sécurité alimentaire au pays.

Le thème vient d’être abordé par le ministre de l’Agriculture, du développement local et de la pêche, Abdeslam Chelghoum, lors de la réunion d’évaluation tenue samedi dernier avec les cadres du secteur. Le ministre dira que son département « examinera prochainement la concrétisation de l’article 19 de la Constitution, qui prévoit essentiellement la protection par l’Etat des terres agricoles à travers des textes de lois coercitifs ».

Il expliquera que le ministère « œuvrera prochainement, avec les parties concernées, à l’examen des moyens de concrétiser cet article à travers l’élaboration de textes de lois coercitifs contre tous ceux qui transgressent le foncier agricole », en concluant avec la nécessité de « protéger les terres agricoles, qui sont un véritable capital pour la nation ». L’accent a été mis  sur l’impérieuse nécessité de « faire face à quiconque tenterait de les dévier de leur vocation agricole ». Selon la feuille de route que compte se donner le ministère de l’Agriculture, l’utilisation rationnelle des terres agricoles y figurera comme une des priorités du secteur et ce, « selon la vision et la méthodologie dictées par la situation économique actuelle du pays ».

Lutte contre la dilapidation du foncier agricole 

En évoquant un article de la Constitution qui protège les terres agricoles, Abdeslam Chelghoum compte en faire un point d’appui, un ancrage juridique pour une conduite sur le front de la lutte contre la dilapidation du foncier agricole. Cependant, par le passé, les textes législatifs qui protègent les terres agricoles n’ont pas manqué, à commencer par la loi domaniale, la loi d’orientation foncière, la loi d’orientation agricole et les différentes instructions et directives.

Depuis que, au début des années 1990, l’Algérie a abandonné le principe de l’économie administrée, la question du foncier a commencé à se poser avec plus d’« aplomb » et à drainer mille enjeux que par le passé. Les transactions foncières se multiplièrent, parfois dans un flou total ; des constructions s’érigent sur les terres agricoles, publiques et privées, au détriment du principe de l’aménagement du territoire et des règles d’urbanisme ; et des infrastructures de grande envergure (routes, autoroutes, universités, zones industrielles,…),  occupent, particulièrement à partir du début des années 2000, des centaines d’hectares des terres les plus fertiles du pays.

Les parties et organes concernés par la gestion du foncier sont nombreux et variés : domaines, communes, agriculture, forêts, agences foncières, conservations foncières, Aniref etc. Ces segments administratifs et gestionnaires n’étaient pas, dans l’organisation économique dirigiste, impliqués de façon aussi complexe qu’aujourd’hui dans la gestion du foncier. Les affaires foncière occupent maintenant une grande partie du travail de la justice, tant se sont multipliés les litiges qui, parfois, ont pris des dimensions dramatiques dans certains wilayas, particulièrement lorsqu’il s’agit de terrains de statut aârch (comme à Khenchela, Tiaret, Laghouat, El Bayadh,…).

Pertes par le détournement et par l’érosion

La superficie agricole utile (SAU) de l’Algérie était évaluée à 8 millions d’hectares en 1962. Le ratio SAU/habitant était alors de 0,75 ha/habitant. En 1990, ce ratio chute à 0,3 ha/habitant. Les anciennes fermes coloniales faisant partie du domaine privé de l’État s’étendent sur 2,8 millions d’hectares, soit 35% de la SAU. 2,5 millions d’hectares ont été organisés en EAC et EAI (soit 96.629 exploitations) -avec jouissance perpétuelle de 99 ans- à partir de 1987, et reconverties, en 2010, en concessions avec un bail de 40 ans renouvelable.  Le reste de ces terres privées de l’Etat, c’est-à-dire 300.000 ha, forment les fermes-pilotes et les parcelles d’expérimentation appartenant à des instituts universitaires de recherche.

Outre les pertes de terres agricoles par les mauvais choix d’affectation aux infrastructures et équipements -et ce, malgré les textes réglementaires qui en limitent l’action- et par les pillages et détournements des terres de leur vocation originelle, une partie des terres agricoles et forestières est fortement exposée à l’érosion hydrique, principalement sur les versants des zones de montagnes et dans les régions steppiques ou pré-steppiques. L’érosion hydrique résulte du travail des précipitations (orages, pluies saisonnières, fonte des neiges) sur des surfaces dénudées et en pente. La dénudation est souvent issue de l’action de l’homme, par le surpâturage, les défrichements, les incendies de forêts et des pratiques culturelles inadéquates. Il en résulte l’enlèvement des couches et des éléments organiques et chimiques les plus riches du sol, pour laisser place à un support édaphique des plus squelettiques. Les rendements agricoles s’en trouvent fortement diminués et les agriculteurs gravement affectés par la chute des revenus.

Sensibiliser et sévir

Le ministre de l’Agriculture a appelé les cadres et les responsables des services déconcentrés à « sensibiliser et à encadrer les agriculteurs autour de l’utilisation des terres agricoles et l’utilisation rationnelle des terres en jachère ». Ces dernières 40% de la superficie des terres cultivables estimées à 8,5 millions d’hectares sont appelées à atteindre les 9 millions d’hectares à l’horizon 2019. Les terres en jachère -un « repos » forcé du sol décidé par les agriculteurs- devront être réduites, selon Chelghoum, de 20%, soit 576.000 hectares dont 432.000 seront exploités pour les cultures de pâturages et 144.000 cultivés en  légumineuses.

Le premier responsable du secteur a affirmé que « seule l’augmentation et la diversification de la production agricole nous permettra de relever le défi de la sécurité alimentaire », en rappelant  les résultats enregistrés par le secteur durant les 15 dernières années avec un taux de croissance de 9%. Il a souligné l’impératif de « continuer à drainer de nouveaux investissements pour promouvoir la production et multiplier les moyens de stockage ». Naturellement, toutes ces légitimes ambitions sont intimement tributaires de la protection du support physique de l’agriculture, le sol, qui est en même temps son milieu nourricier. Dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres, il s’agira, sans doute, moins de produire de nouvelles lois que de s’employer à appliquer les lois existantes dans toute leur rigueur.

 

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