La zone pastorale de la vallée de la Nouaho, dans la région du Centre-Est, a été créée pour assurer une sécurité foncière aux éleveurs et intensifier leurs systèmes de productions animales. Mais, de nos jours, elle est « infestée » par l’orpaillage dont l’ampleur préoccupe.
Abdoul Salam Barry, la cinquantaine bien sonnée, est éleveur dans un des campements d’élevage de Ganwèga de la zone pastorale de la Nouaho, dans la commune rurale de Bittou, province du Boulgou. Dans la mi-journée du mardi 31 août 2021, M. Barry est comme d’habitude au milieu de son troupeau, bâton en main. La mine renfrognée, le sexagénaire est plus préoccupé par la patte fracturée d’une de ses bêtes. Le berger confie que l’animal a fait une chute dans une galerie creusée par des orpailleurs, à la recherche du métal précieux. Abdoul Salam Barry vit depuis belle lurette avec une centaine d’autres éleveurs installés dans les campements de la zone pastorale. Depuis, les animaux ont toujours été victimes des activités d’orpaillage . « Nous souffrons de la présence des orpailleurs qui rendent difficile, la mobilité de nos animaux », se morfond-il, très courroucé. Même si M. Barry reconnait que l’exploitation artisanale de l’or s’y pratiquait bien avant l’érection de l’espace en zone pastorale, la venue de centaines d’orpailleurs sur le site, regrette-t-il, impacte négativement l’activité des éleveurs. « Nous voulons que l’on trouve une solution. Ce sont des activités incompatibles », fulmine-t-il. Selon un arrêté interministériel conjoint, cet espace pastoral a été délimité dans les années 2 000 pour une sécurisation foncière des éleveurs. D’une superficie de 95 000 hectares (ha), la zone pastorale de la Nouaho est à cheval entre les provinces du Koulpélogo et du Boulgou.
Les ressources fourragères menacées
Les cinq secteurs pastoraux que compte la zone, à savoir Bané, Bittou, Sawenga, Lalgaye, Dimtenga sont pris d’assaut par des orpailleurs venus d’horizons divers. Les trous creusés par ceux-ci, la pollution du pâturage par l’utilisation des produits chimiques comme le cyanure, la coupe abusive du bois et l’occupation de l’espace sont décriés au jour le jour par les éleveurs en raison des dégâts collatéraux. Idrissa Barry, du Centre d’appui de Bittou lui, en a aussi fait les frais. Très remonté, il déclare avoir perdu plus de 10 bœufs dans les fosses des orpailleurs, en l’espace de deux mois. Quand les chercheurs d’or sont informés des préjudices liés à leurs activités, confie M. Barry, ils font fi de ne rien savoir . « La délimitation de l’espace devrait nous permettre de mener à l’aise notre activité », affirme Mahamoudou Bandé, éleveur à Bané, dans le village de Lalin-Peulh. Ce dernier dispose de 45 têtes de bœufs, 37 moutons et plus d’une centaine de volailles . Pour lui, la zone pastorale est un véritable atout pour les éleveurs. Mais, avec la pression de l’orpaillage, relève l’éleveur de 52 ans, les ressources fourragères se font de plus en plus rares. Toute chose qui laisse planer le désespoir, poursuit-il, au point que nombre d’éleveurs sédentaires migrent vers des pays voisins. « Avec ce qui se passe, il y a des éleveurs qui vont avec une partie de leurs troupeaux au Ghana pour éviter certains problèmes », prétexte-t-il. Au regard des conditions de précarité dans lesquelles ploient les éleveurs, M. Bandé estime que la zone pastorale de la Nouaho perd sa vocation première : celle de la mise à disposition des ressources dont les éleveurs ont besoin pour mener à bien leurs activités. « Nous voulons que l’on nous trouve une solution parce que ce sont deux activités incompatibles », insiste le quinquagénaire. En raison de la promiscuité, des bisbilles sont légion entre les orpailleurs et les éleveurs. Saïdou Sondé, éleveur depuis des lustres à Lalin- Peulh, l’atteste. De son avis, ces altercations sont, le plus souvent, liées à la mort des bêtes du fait de l’intoxication, de la pollution du pâturage et des accidents dans les fosses. « Quand ces incidents arrivent, nous essayons de nous entendre pour ne pas envenimer la situation », modère-t-il.
« On va rester ici »
Les mis en cause, les orpailleurs notamment, n’envisagent pas quitter la zone pastorale de sitôt, malgré les récriminations. Venus d’horizons divers, ils sont nombreux à prendre « d’assaut » la zone pastorale. Moussa Zoungrana fait partie de ces orpailleurs. Natif de la province du Zoundwéogo, il affirme être arrivé dans le site de Ganwèga depuis 1997, après avoir séjourné au Ghana pour la même activité. Aidé d’une dizaine de jeunes orpailleurs, il dispose d’une quinzaine de fosses. « C’est à travers cette activité que j’arrive à m’occuper de mes deux femmes et mes enfants », déclare Moussa Zoungrana. Le polygame reconnaît que toute activité, autre que l’élevage, est interdite dans cette aire pastorale mais reste catégorique concernant l’incompatibilité de son activité d’avec l’élevage. Pour lui, même si l’espace est dédié à l’élevage, il est également un lieu qui regorge de l’or si bien que les orpailleurs ne peuvent pas s’en passer. « Ici, nous nous entendons bien avec les éleveurs. A moins que ce ne soit eux qui ont des problèmes avec nous », martèle-t-il.
En dépit de quelques cas malheureux qui surviennent, se rappelle-t-il, M. Zoungrana trouve que l’orpaillage n’entrave en rien l’élevage dans la zone. « S’ils nous disent de quitter les lieux, c’est qu’ils ont un lieu où nous envoyer », conditionne-t-il. Tout comme lui, bien d’autres orpailleurs restent indifférents à l’idée de quitter la zone pastorale. Arouna Ouédraogo, originaire du village de Wanda, situé à une vingtaine de Km de Bittou, époux de quatre femmes, est orpailleur depuis 24 ans. Pour ce chef de famille de 20 enfants, toute perspective de déguerpissement serait suicidaire de son point de vue. « Nous ne voyons pas ce que nous faisons qui entrave l’activité des éleveurs. Nous allons rester ici et si on nous tue, on saura qu’on a été tué dans notre propre pays », justifie-t-il.
Pourtant, la zone pastorale de la Nouaho dispose d’un document stratégique de sécurisation qui devrait la prémunir de toutes menaces reconnues par le ministère des Ressources animales et halieutiques. Mieux, cet espace est régi par un schéma directeur. Avec un comité de gestion et un cahier des charges spécifique, la zone pastorale comprend cinq postes d’élevage, 17 parcs de vaccination, cinq magasins de stockage d’aliments pour bétail, des forages pastoraux, deux boulis pastoraux, deux aires d’abattage, d’un plan de gestion et d’une mini laiterie. « L’objectif principal de la zone pastorale était d’intensifier la production animale », rappelle la Directrice provinciale en charge des ressources animales du Boulgou, Aïcha Sana. A l’entendre, ce n’est pas de « gaieté de cœur » que le ministère assiste à l’occupation illégale de la zone. Des sensibilisations, des plaidoyers et des actions répressives ont été menés pour que les orpailleurs abandonnent leurs activités, sans grand succès. Seulement, le comptoir de traitement et d’achat de l’or du site de Lalin- Peulh, dans la commune de Bané, note Mme Sana, a été fermé. « Nous souhaitons plus d’actions pour préserver nos zones pastorales. Si on ne les préserve pas, l’élevage sera mis à mal dans la région », prévient-elle.
Une stratégie de sécurisation en élaboration
Mme Sana pense qu’au-delà du déguerpissement des orpailleurs, il faut une relecture du cahier des charges, la dynamisation du comité de gestion et surtout la réorganisation de l’espace pour l’adapter aux nouvelles réalités. « Ce sont toutes ces actions qui permettront à notre zone pastorale de répondre convenablement à ses obligations », soutient le chef de service des espaces et des aménagements pastoraux à la Direction régionale en charge de l’élevage de l’Est, Moussa Thiombiano. Selon lui, n’eût été les actions menées, sous l’égide du ministère, la zone serait entièrement envahie. Or, observe-t-il, les zones pastorales sont l’émanation de la volonté politique de l’Etat. Elle procède, ajoute-t-il, de la nécessité de développer la mobilité des animaux et la mise à disposition des ressources nécessaires aux éleveurs pour mener convenablement leurs activités. « Mais, de nos jours, l’on a l’impression qu’elle ne remplit plus ses missions », se désole M. Thiombiano.
A en croire le Directeur général (DG) des Espaces et des Aménagements pastoraux, Rimouaogodo Hamado Ouédraogo, la zone pastorale de la Nouaho, a cependant bénéficié d’un grand accompagnement de l’Etat et de ses partenaires. De nombreux investissements y ont été faits, souligne-t-il. Il s’agit, de la délimitation de la zone, sa parcellisation pour faciliter l’installation des éleveurs en vue d’accompagner les éleveurs dans leurs activités. Toutefois, le DG des espaces et des aménagements pastoraux souligne que pour permettre à la zone pastorale d’atteindre ses objectifs, une relecture de sa stratégie de sécurisation est en élaboration en tenant compte des nouvelles réalités. « Notre ambition est de pouvoir répondre aux exigences des éleveurs et continuer à offrir des conditions favorables pour qu’ils puissent produire pour nos populations », indique Hamado Ouédraogo. Les efforts se poursuivront avec tous les acteurs, selon lui, afin que les éleveurs du Centre-Est profitent des opportunités qu’offre la zone pastorale de la vallée de la Nouaho.
Encadré : Une mine en installation en dépit de tout
Les conséquences de l’orpaillage sur la viabilité de l’élevage dans la zone pastorale de la Nouaho ne sont plus à démontrer, au regard de son ampleur sur toute l’étendue de l’espace. Alors que les éleveurs attendent des autorités, la prise de mesures drastiques contre cette occupation illégale du site par les orpailleurs, une société minière a obtenu l’agrément pour s’y installer. Un paradoxe qui ne laisse pas indifférent le département en charge de l’élevage qui s’est opposé à la délivrance du permis. Aux dires des responsables du ministère, un déficit de communication pourrait être à l’origine de la situation qui ne manquera pas d’impacter la pratique de l’orpaillage dans la zone.
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