Situé entre Madagascar et la pointe de l’Afrique, Mayotte est souvent l’oublié des politiques d’investissement et de développement françaises. Le département pourrait toutefois profiter du déploiement du photovoltaïque pour réduire sa dépendance au diesel et baisser le coût de production d’énergie. Le réseau travaille progressivement pour soutenir un développement solaire d’envergure, encore à venir à cause du manque de foncier disponible et des surcouts liés à l’isolement insulaire.
Avec une exposition enviable et une forte dépendance au gazoil, Mayotte veut faire la place belle au photovoltaïque dans son mix énergétique. Pourtant l’île, voisine de Madagascar, peine encore à imposer le solaire dans ses infrastructures électriques.
Certes, elle compte déjà 124 centrales photovoltaïques en service, mais celles-ci ne représentent ensemble qu’un peu plus de 5 % de l’énergie produite, le reste reposant presqu’exclusivement sur l’énergie thermique. Autant que face à la montée de la violence, qui affecte en premier lieu les jeunes dans les collèges et lycées, le département gagnerait à être davantage soutenu dans ce difficile exercice de transition énergétique.
La Planification Pluriannuelle de l’Energie (PPE) fixait à 20 % l’objectif EnR dans le mix énergétique de l’île à 2018, avec des enjeux forts du côté du photovoltaïque, « à ce jour la seule énergie renouvelable ayant fait l’objet de réalisations concrètes », pour citer le document. L’engouement notable jusqu’en 2013 était notamment porté par des tarifs de rachat très intéressant pour les particuliers, mais il s’est essoufflé avec la fin de la défiscalisation à des taux attractifs. Depuis, le solaire stagne et en 2019 l’objectif EnR était toujours très loin d’être atteint (2 % seulement de pénétration dans le mix) si l’on en croit le Bilan de la 1ère Programmation Pluriannuelle de l’Énergie de Mayotte 2017-2018.
Les enjeux du solaire à Mayotte
« Mayotte reste fortement dépendante des ressources fossiles pour un coup de production de 350€/MWh, soit le plus élevé des DROM », explique Xavier Ducret, directeur d’Akuo Océan Indien à pv magazine. Selon lui, le solaire permettrait de décarboner le mix électrique, de baisser ce coût de production et d’alimenter en autoconsommation des sites qui ne sont pas raccordés au réseau. Et de permettre à l’île de construire une indépendance énergétique en dehors des hydrocarbures fournis par Total Energies à Electricité de Mayotte (EDM) pour les besoins des deux centrales thermiques (moteurs diesel) de l’île.
Mais le manque de foncier disponible, les surcouts liés à l’isolement insulaire (deux fois plus élevé qu’en métropole étant donné la plus petite taille des projets et l’importation du matériel) et l’état du réseau électrique, encore peu adapté à accueillir des énergies renouvelables, sont autant de freins au déploiement du photovoltaïque sur l’île.
Toutefois, le solaire poursuit son avancée. La nouvelle PPE de Mayotte, en cours de révision, pourrait permettre une meilleure coordination des ressources et prévoir quelque 70 MW de photovoltaïque supplémentaires sur l’île selon les informations d’Akuo, qui souhaite vivement contribuer aux futurs appel d’offres. A l’heure du bilan de la PPE, la préfecture et le département de Mayotte notaient d’ailleurs que « les objectifs en 2019 sont de + 10 MW de puissance installée et + 22 MW en 2020 ce qui permettrait, si les projets sont en nombre suffisant, d’atteindre l’objectif initiale de la première PPE de + 29,4 MW de puissance installée avec stockage à horizon 2023 ».
Image : Corex Solar
En tout cas, les solaristes présents à Mayotte ne manquent pas d’annoncer de nouveaux projets, plus adaptés aux besoins spécifiques sur place et au réseau existant. Pour la partie réglementée en tout cas, la tranche 3 de l’appel d’offres solaire concernant les zones non interconnectées (ZNI) (publiée en même temps que la tranche 5 des autres ZNI en mai dernier) a attribué une vingtaine de mégawatts aux 26 lauréats désignés.
Albioma, qui en fait partie, a confié à pv magazine vouloir « continuer à investir à Mayotte afin de développer le parc sur les deux prochaines années ». A date et d’après le groupe, sa filiale locale Albioma Solaire Mayotte exploiterait déjà quelque 10 MW de PV sur les 20 MW existants de l’île – dont 2,3 MW d’installations avec stockage. De son côté, Akuo Energy devrait mettre en service deux centrales PV+stockage pour un total de 2,5 MW de capacité solaire et 5 MWh de batteries d’ici fin 2022.
Des surcoûts liés au raccordement
Il est donc question de faire sortir plusieurs mégawatts par an du sol ou des toitures avec un défi toutefois : à Mayotte la maîtrise d’œuvre entre le point de livraison et le réseau est à la charge du développeur. De ce fait, « le coût de raccordement est très cher, parfois même aussi cher que le coût de l’installation et de la construction de la centrale », explique Anthony Lucas, le directeur de l’activité photovoltaïque d’Albioma à Mayotte et la Réunion.
Pour EDM, le coût et la possibilité de raccordement sont également les principales contraintes techniques identifiées pour l’installation de centrales photovoltaïques sur place – en plus de la logistique et de la chaine d’approvisionnement. « Les contraintes d’ordre foncier sont également importante : disponibilité du foncier, toiture en bonne état, acceptation du projet par les occupants… », ajoute la société, contactée par pv magazine.
Les toitures des grandes surfaces industrielles et commerciales, les collèges et les lycées sont des points d’accroche précieux du photovoltaïque sur l’île. Les plus petites surfaces se négocient en obligation d’achat, avec une particularité de taille : les installations de plus de 100 kW doivent bénéficier d’un raccordement en haute tension, ce qui entraîne un autre surcout pour les installateurs. « Nous optons plutôt pour des installations plus petites, explique Anthony Lucas. Quand cela est possible nous mutualisons les raccordements des centrales sur un même poste HTA afin optimiser les couts des travaux sur le réseau de EDM ».
Image : Pixabay
Le développement du réseau est un défi à relever pour niveler les coûts du solaire, surtout sur un modèle en « remise d’ouvrage » comme c’est le cas à Mayotte. A ce sujet EDM se veut optimiste : « l’arrivée des batteries de stockage, des compteurs numériques, l’intégration des smart grids avec le projet européen Maesha, l’élaboration de schéma directeurs, la construction de ligne haute tension sont tout autant de chantiers sur lesquels EDM travaille et qui permettront de stabiliser le réseau électrique de l’île. » Concrètement, une régulation de fréquence de 4 MW est en cours de mise en service ainsi qu’un report de charge de 7,5 MW, qui est planifié pour le 1er trimestre 2022. »
Agrivoltaïsme, autoconsommation et cadastre solaire
Sur l’île et en général, Albioma travaille principalement sur des appels d’offre, mais peut aussi développer des solutions PV en autoconsommation sur contrat privé lorsque la demande est formulée. C’est le cas par exemple avec EDM, pour qui le groupe a installé un système en autoconsommation de 65 kWc sur les locaux du poste source de Longoni. En ce qui concerne les nouvelles centrales au sol, le groupe devrait mettre en service une installation solaire de 800 kW sur des poulaillers d’ici la fin de l’année. Un projet solaire de 500kW sera également développé en 2022 pour équiper quatre serres et un hangar agricole dans la commune de Passamaïnty.
De son côté, Akuo Energy veut déployer à Mayotte ses solutions agrivoltaïques développées principalement à la Réunion depuis 2007. D’après Xavier Ducret, le modèle « conjugue sur un même espace production agricole et production d’énergie et a particulièrement de sens dans les territoires insulaires, comme Mayotte, où le foncier est limité. Les premières serres photovoltaïques combinées à un dispositif de stockage que nous développerons sur l’île seront construites dans le cadre de notre projet Lesport, lauréat des derniers appels d’offre CRE. »
Image : Frédéric Ducarme, CC BY-SA 4.0 , via Wikimedia Commons
Le défi du foncier persiste, comme dans la plupart des ZNI. « Bientôt toutes les grandes surfaces seront couvertes », prévient Anthony Lucas d’Albioma, qui se montre toutefois optimiste. En effet, la PPE local reste ambitieuse sur le solaire et la volonté d’inclure plus de PV dans le mix énergétique est clairement affichée. « Un cadastre solaire serait bien pour le développement de centrale au sol », avance Anthony Lucas. Cet outil permettrait de valoriser le foncier existant en cartographiant l’exposition solaire sur les territoires, une initiative déjà développée à Paris depuis 2013, à la Réunion depuis 2018 et dans l’Ouest lyonnais plus récemment.
A venir la semaine prochaine : l’île de Moorea (Polynésie française)
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