Photo: Action de restauration forestière dans l'État du Pará au Brésil, via des pratiques agroécologiques autour de la santé des sols et de la mobilisation de la biodiversité locale © Ianca Moreira, Refloramaz
En Amazonie brésilienne, des paysans et paysannes restaurent les forêts via des pratiques agroforestières. S’il ne s’agit pas de retrouver une forêt « naturelle », certaines agroforêts abritent tout de même près de 200 espèces différentes par hectare. Les avantages de l’agroforesterie sont nombreux : sols de nouveau fertiles, biodiversité en hausse, regain économique et surtout amélioration visible de l’alimentation et de la santé des populations locales.
Lívia Navegantes est professeure d'agronomie à l'Université fédérale du Pará (UFPA), à Belém. La chercheuse travaille avec un groupe de paysans sur les systèmes agroforestiers et la restauration des terres dégradées en Amazonie brésilienne. Lorsqu’elle interroge les paysans sur les premiers changements qu’ils observent avec le retour des arbres, ils lui répondent « nous-mêmes ». « Je m’attendais à ce qu’ils me parlent de leurs animaux, de l’amélioration de leur production ou de la végétation. En vérité, c’est d’abord d’alimentation et de santé dont il est question. Les agroforêts transforment leur vie entière. »
Une agroforêt est un paysage où se côtoient cacaoyers, bananiers ou encore palmiers, et ce avec une couverture végétale aussi près du sol, comme des haricots ou du manioc les premières années. Certains systèmes agroforestiers sont basés sur cinq espèces d’arbres à l’hectare, mais d’autres sont extrêmement riches en biodiversité, avec plus d’une centaine d’espèces. « On construit ces systèmes en ayant en tête la forêt comme référence, donc on cherche à mobiliser une très grande biodiversité, précise Lívia Navegantes. L’idée, c’est que le végétal soit présent à tous les étages. On va donc avoir des plantes rampantes, des petits arbustes qui aiment l’ombre, jusqu’aux grands arbres qui vont chercher la lumière. Et cette stratification végétale est aussi bien aérienne que racinaire. »
Les pratiques agroforestières viennent restaurer des sols et des paysages perturbés par des monocultures non adaptées au contexte amazonien. Elles permettent une meilleure durabilité et l’amélioration des conditions de vie des populations, que ce soit sur le plan environnemental, économique ou social. Les paysans aiment dire qu’ils plantent des « forêts d’aliments ». Outre la production alimentaire, ces agroforêts intègrent aussi souvent des plantes médicinales ou des arbres de bois d’œuvre.
L’étendue des savoirs paysans encore sous-évaluée par la science
Ses études sur les pratiques agroforestières, Lívia Navegantes les mène notamment dans le cadre de Sustenta e Inova, un projet de développement financé par l’Union européenne et coordonné par le Service brésilien d'appui aux micros et petites entreprises (Sebrae) du Pará. Le Cirad y contribue par des travaux sur la restauration des terres dégradées, aux côtés de ses partenaires brésiliens de longue date que sont l’UFPA, l’Université fédérale rurale d’Amazonie (UFRA) et l’Embrapa. Ensemble, les scientifiques ont cartographié plus de 400 initiatives paysannes de restauration forestière dans la région de l’est de l’Amazonie brésilienne, autour de Belem, et ont découvert que 78 % des paysans qui cherchent à restaurer la forêt le font avec de l’agroforesterie.
Malgré tout, ces initiatives de restauration de la forêt restent marginales et l’agroforesterie est encore loin d’être répandue. Dans des municipalités avec plusieurs milliers d’agriculteurs, une centaine seulement pratique l’agroforesterie. Pourtant, le mouvement émerge et vaut la peine d’être étudié et accompagné. « Qui sont les paysans en Amazonie qui tentent de faire de la restauration forestière, et qu’est-ce qui les motive à s’engager dans ces pratiques ? s’interroge Emilie Coudel, socio-économiste au Cirad. Dans Sustenta e Inova, on essaie de documenter toute la diversité des pratiques agricoles de restauration, puis on permet à ces paysans expérimentateurs de se rencontrer pour qu’ils apprennent des expériences des autres. »
Elle et Lívia Navegantes ont créé un groupe de recherche qui rassemble des scientifiques, des étudiants et des paysans : le groupe Refloramaz. « On réfléchit ensemble sur les manières durables de produire en Amazonie, précise Lívia Navegantes. On échange à propos des espèces à utiliser, des meilleures techniques de fertilisation organique, ou encore des associations d’espèces à privilégier. » Emilie Coudel ajoute : « On essaie d’accompagner ces alternatives qui émergent. On propose aux paysans de co-construire des références sur leurs systèmes, mais surtout, on les renforce dans l’idée que les connaissances qu’ils ont sont valables et précieuses, que ce sont eux les maitres en agroforesterie. »
Pour former ce réseau de paysans, le groupe Refloramaz a lancé avec l’appui de Sustenta e Inova une formation universitaire (niveau Bac +4) destinée à des leaders de communautés rurales. Cette formation réunit une quarantaine de personnes, avec des profils très variés : certains sont cadres dans des ONG ou des institutions publiques, d’autres sont professeurs dans des écoles rurales, ou encore paysans. Ce groupe de recherche quelque peu atypique vise à valoriser les savoirs paysans. Comme le rappelle Lívia Navegantes, « les paysans qui pratiquent l’agroforesterie en Amazonie sont souvent issus de familles qui ont accumulé des connaissances sur plusieurs décennies. Ils savent nous dire instantanément quelle plante aura le meilleur résultat pour tel usage ou comment tel arbuste réagit si on le taille de telle manière. L’étendue de leurs connaissances des plantes et de la forêt est largement sous-estimée par la science à l’heure actuelle. »
Des réseaux pour diffuser les connaissances
Le groupe Refloramaz rassemble des communautés rurales très diverses : agriculteurs, amérindiens, afrodescendants… Chaque situation renvoie vers des pratiques agroforestières différentes, montrant qu’il n’existe pas de solution unique vers la restauration. Tous suivent cependant les mêmes principes agroécologiques, autour de la santé des sols et de la mobilisation d’une très grande biodiversité. « Un des objectifs de Refloramaz, c’est de constituer un réseau de paysans qui partagent des valeurs communes. Ce réseau construit sa propre légitimité politique, celle de proposer des actions et des politiques publiques plus adaptées à leur réalité, et qui viennent soutenir l’agroforesterie et la restauration forestière », estime Emilie Coudel.
Au-delà des questions agronomiques, les paysans-étudiants de Refloramaz sont renforcés dans leur rôle de « leaders paysans ». Par leur engagement auprès des scientifiques ou des autorités locales, ils endossent une activité politique de plaidoyer pour la diffusion des pratiques agroforestières en Amazonie. Lors d’ateliers collectifs d’implantation de nouvelles agroforêts, ces paysans-étudiants invitent leur communauté à participer et en profitent pour parler de la santé des sols et des pratiques agroforestières.
Joice Ferreira est écologue à l'Embrapa. Elle est aussi une des initiatrices du groupe Refloramaz : « L'engagement des communautés locales est absolument essentiel pour garantir que la restauration des forêts se fasse de manière appropriée, qu'elle reflète les valeurs culturelles et surtout qu'elle réponde aux besoins locaux. Le Brésil se trouve à un moment très particulier à cet égard. Le plan national de restauration est en cours de révision et sera lancé en fin d'année avec de nouveaux objectifs et de nouvelles stratégies. Le plan de restauration du Pará a été lancé fin 2023. En d'autres termes, le moment est venu de mettre en œuvre ces plans, qu'ils deviennent enfin concrets. Refloramaz y contribue largement en fournissant des conseils sur la manière de développer des processus de restauration basés sur la co-construction avec les communautés locales, en valorisant leurs connaissances, leurs intérêts et leur potentiel. »
Parmi les paysans-étudiants de Refloramaz, les femmes sont très présentes. Pour Lívia Navegantes, la place des femmes dans ce mouvement n’est pas anodine : « En Amazonie brésilienne, les femmes sont très engagées dans les actions de restauration. Elles remplissent souvent les fonctions de soins pour leur famille, à travers l’alimentation ou la santé. La plupart d’entre elles connaissent par exemple de nombreuses plantes médicinales. Pour elles, prendre soin de leur famille, c’est aussi prendre soin de l’environnement ».
Lors de la COP21 en 2015, le Brésil s’était engagé à restaurer 12 millions d’hectares de forêts d’ici 2030. Un engagement qui coïncide aussi avec les objectifs fixés par la décennie des Nations Unies sur la restauration des écosystèmes. Depuis 2015, cette promesse s’est déclinée en plusieurs actions, allant de la lutte contre la déforestation à la restauration de pâturages dégradés. En 2025, le pays accueillera la COP30 sur le climat, à Belém : l’occasion de faire le point sur les avancées, dix ans après.
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