Alors que les dirigeants du monde entier se sont réunis pour le sommet de la COP26 à Glasgow, on parle beaucoup des émissions de méthane et des rots des vaches. Sous l’égide des États-Unis et de l'Union européenne, l'engagement mondial concernant le méthane dont beaucoup de pays sont désormais signataires, vise à réduire les émissions de méthane de 30 % d'ici à 2030. Cet objectif, considéré comme une « mesure à effet rapide » prise pour réduire le réchauffement de la planète, aura des répercussions majeures sur la production des animaux d’élevage.
Le bétail est devenu le méchant du changement climatique. Certains chercheurs affirment que 14,5 % des émissions d'origine humaine proviennent du bétail , directement ou indirectement. De nombreux appels ont été lancés pour que des changements radicaux soient apportés à la production animale et à leur alimentation à l’échelle mondiale, pour faire face au chaos climatique. Mais de quel bétail s'agit-il et où se trouvent-ils? Comme l'affirme un nouveau rapport dont je suis le co-auteur, il faut absolument différencier les systèmes de production.
Le lait et la viande ne sont pas tous les mêmes. Les systèmes pastoraux extensifs, souvent mobiles, comme ceux que l'on rencontre fréquemment sur le continent africain, ainsi qu’en Asie, en Amérique latine et en Europe, et la production animale industrielle intensive et confinée n’ont pas du tout les mêmes effets.
Pourtant, dans les discours habituels sur les changements de régime alimentaire et de production, les animaux d’élevage sont tous mis dans le même sac. Les vaches sont faussement assimilées aux voitures polluantes et le bœuf au charbon. Le discours simpliste « tout le bétail est mauvais » est tenu par des organisations de campagne, des célébrités écologistes, de riches philanthropes et des décideurs politiques et, inévitablement, il dominela couverture médiatique. Il est toutefois nécessaire d’approfondir le débat.
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Analyser les données
Notre rapport, en analysant les données, souligne les problèmes liés à l'utilisation de statistiques globales dans l’évaluation de l'impact de l'élevage sur le climat mondial.
Certains types de production animale, notamment ceux des systèmes industriels, sont certainement très nuisibles à l'environnement, parce qu’ils génèrent d'importantes émissions de gaz à effet de serre et provoquent une grave pollution des eaux. Ils contribuent également à la déforestation résultant notamment de la demande en aliments pour animaux et en zones de pâturage toujours plus vastes. En outre, il est tout à fait logique de réduire la quantité d'aliments d'origine animale dans les régimes alimentaires, que ce soit dans le Nord ou dans le Sud sur toute la planète, tant pour l'environnement que pour la santé des personnes.
Les systèmes industriels ne sont cependant qu'un type de production animale, les chiffres globaux des émissions ne permettant pas de saisir les nuances de cette réalité. En examinant l'ensemble des évaluations des cycles de vie – une technique largement utilisée pour évaluer l'impact des différents systèmes agroalimentaires sur le changement climatique – nous avons découvert des lacunes et des hypothèses notables.
L'une d'elles est que les évaluations globales sont très majoritairement basées sur des données provenant de systèmes industriels. Un document fréquemment cité, qui porte sur 38,700 exploitations agricoles et 1,600 transformateurs, ne s’est intéressé qu'aux unités « commercialement viables », principalement en Europe et en Amérique du Nord. Toutefois, les animaux d'élevage ne sont pas tous les mêmes, ce qui signifie que les extrapolations globalisantes ne fonctionnent pas.
Des recherches menées au Kenya, par exemple, montrent à quel point les hypothèses sur les émissions des animaux africains sont inexactes. Ceux-ci sont plus petits, ont un régime alimentaire de meilleure qualité grâce au pâturage sélectif et une physiologie adaptée à leur environnement. Ils ne ressemblent pas à un animal de race placé dans une chambre calorimétrique, d'où proviennent la plupart des données sur les facteurs d'émission. Dans l'ensemble, la quantité de données relatives aux systèmes extensifs est très insuffisante. Un examen des évaluations du cycle de vie de la production alimentaire a montré, entre autres, que seulement 0,4 % des études de ce type étaient menées en Afrique, où la pratique du pastoralisme extensif s’étend habituellement sur de vastes zones.
Un autre problème posé découle du fait que la plupart de ces évaluations se concentrent sur les impacts des émissions par animal ou par unité de produit, ce qui présente un tableau très déformé étant donné que les coûts et les avantages n'ont pas été pris en compte. Les partisans des systèmes industrialisés montrent du doigt les émissions élevées de méthane par animal provenant de la consommation de fourrage grossier et de mauvaise qualité sur les pâturages ouverts, en les comparant au potentiel des aliments améliorés et réducteurs de méthane dans les systèmes confinés. Ce n’est pas la question : une approche systémique plus intégrée et plus générale doit non seulement englober tous les impacts, mais aussi les avantages. À titre d’exemple, certaines formes de pâturage extensif peuvent éventuellement augmenter les stocks de carbone dans le sol, ce qui vient s’ajouter aux réserves de carbone déjà considérables des pâturages ouverts.
Par ailleurs, le fait est que le méthane et le dioxyde de carbone ont des durées de vie différentes dans l'atmosphère et ne sont donc pas équivalents. Le méthane est un gaz à courte durée de vie mais très puissant. Le dioxyde de carbone reste dans l'atmosphère pour toujours. On peut envisager de réduire le réchauffement à court terme en s'attaquant aux émissions de méthane, mais pour lutter contre le changement climatique sur le long terme, il faut se foacliser sur le dioxyde de carbone. Il y a, par conséquent, une grande différence dans la manière d’évaluer les différents gaz à effet de serre et de déterminer «le potentiel de réchauffement planétaire » . Autrement dit, les vaches et les voitures ne sont pas les mêmes.
La base de référence choisie est tout aussi importante. Les systèmes pastoraux peuvent ne pas entraîner d'émissions supplémentaires par rapport à une base de référence « naturelle ». Dans les systèmes extensifs d’Afrique, par exemple, le bétail domestique remplace les animaux sauvages qui émettent des quantités comparables de gaz à effet de serre. En revanche, il est clair que les systèmes industriels sont la source d’impacts supplémentaires, se traduisant par des coûts environnementaux importants dûs aux émissions de méthane provenant de la production, à l'importation d'aliments pour animaux, à la concentration des déchets d'élevage et à l'utilisation de combustibles fossiles dans les transports et les infrastructures irrécupérables.
La justice climatique
Une évaluation plus équilibrée est nécessaire. L'élevage extensif contribue aux émissions, mais il est également vrai qu'il présente de multiples avantages pour l'environnement, potentiellement par la séquestration du carbone, l'amélioration de la biodiversité et la mise en valeur des paysages.
De plus, les aliments d'origine animale sont essentiels pour la nutrition, car ils sont riches en protéines et d'autres nutriments, notamment pour les populations à faible revenu et vulnérables, et pour les zones impropres à la culture. Dans le monde entier, les animaux d'élevage – bovins, ovins, caprins, camelins, yaks, lamas et autres - procurent des revenus et des moyens de subsistance à de nombreuses personnes. Les pâturages dans le monde représentent plus de la moitié de la surface terrestre et abritent des millions de personnes.
À l'heure où les pays s'engagent à réduire les émissions de méthane, il est urgent de mener un débat plus approfondi, afin d'éviter de graves injustices. Au fur et à mesure que des réglementations seront élaborées, des procédures de vérification approuvées et des systèmes de déclaration mis en place, les systèmes d'élevage en Afrique et ailleurs risquent d'être pénalisés, avec des conséquences majeures sur les moyens de subsistance des populations pauvres.
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