Africités est une conférence panafricaine qui réunit les dirigeants des villes et des gouvernements locaux ainsi que leurs associations pour faire progresser la décentralisation et la gouvernance locale afin d’améliorer le niveau de vie des citoyens. Les sommets Africités ont lieu tous les trois ans depuis 1998. Cette année, il s'est tenu à Kisumu, au Kenya et notre chercheuse IRD Claire Médard en était l'une des intervenantes.
Le sommet Africités
Kisumu City, Kenya, a accueilli la 9ème édition du Sommet Africités, du 17 au 21 Mai 2022. Durant les 5 jours, des échanges se tiendront autour du thème du sommet : « Le rôle des villes intermédiaires en Afrique dans la mise en œuvre de l’Agenda 2030 des Nations Unies et de l’Agenda 2063 de l’Union Africaine ». Conformément au thème, Kisumu est la première ville intermédiaire à accueillir l’événement. Pour cet événement, Kisumu a mis en place un Village Africités au stade Jomo Kenyatta et ses alentours afin d’accueillir participants et exposants venus des quatre coins de la planète.
« Le temps est venu de renforcer le rôle des villes intermédiaires en tant que prochaines frontières de l’urbanisation et du développement en Afrique. Un taux d’urbanisation sans précédent a vu 1086 villes intermédiaires abriter 174 millions de personnes représentant 36% de la population urbaine totale de notre continent et contribuant à environ 40% du PIB de notre continent. Au moment où nous nous réunissons pour délibérer sur la manière dont nous pouvons établir une transition vers un nouveau paradigme urbain et libérer le potentiel des villes intermédiaires pour favoriser le développement inclusif et la réalisation de nos ODD et de toutes les autres initiatives de développement socio-économique, nous devons garder à l’esprit que l’Afrique devient de plus en plus urbanisée. L’accent traditionnel mis sur le rural dans les plans de développement risque de marginaliser une partie croissante de notre population qui sera bientôt majoritaire », a déclaré Son Excellence Uhuru Kenyatta, Président du Kenya.
Planifier et construire des cités africaines durables
La scientifique IRD Claire Médard, Géographe au sein de l’Unité de Recherche Migration et Société (URMIS), est intervenue au sommet le 18/05 dans le cadre de la session "Planifier et construire des cités africaines durables" pour alerter sur la transformation des terres agricoles en terres urbaines dans les hauts plateaux est-africains.
Soulignant une représentation courante, au Kenya, chez les urbanistes, celle de la propriété absolue et exclusive qui rendrait difficile tout effort de planification, elle nous invite à reconsidérer cette idée, en examinant le rôle clé d'une administration et de ses agents dans le détournement d'une planification environnementale. A partir d'une approche empirique et d'une conceptualisation des droits fonciers comme partiels et imbriqués, se référant à la notion de faisceaux de droits, elle cherche à caractériser les formes de propriété urbaine rencontrées dans lesquelles pouvoirs locaux et municipaux jouent un rôle via la taxation.
Dans les régions rurales densément peuplées de l'ouest du Kenya, au lieu de réguler le marché foncier, les interventions des pouvoirs publics semblent, au contraire, encourager l'urbanisation via différents mécanismes de taxation à l'échelon local. Jouant sur les frontières, les autorités urbaines augmentent leurs revenus via l'inclusion de nouvelles terres agricoles dans les limites municipales. Alliant volets de taxation formelle et informelle, la demande de changement d'utilisation des sols est devenue une simple formalité payante, rendant inopérante toute tentative de contrôle de la croissance urbaine: les autorités publiques et leurs agents semble appeler de leurs vœux cette croissance, synonyme d'un développement conçu comme exclusivement urbain. A contrario, cet exemple prouve que les autorités locales et municipales disposent de certains outils pour permettre une intervention orientée vers une planification durable, même s'ils sont mobilisés à d'autres fins.
Comment mobiliser le foncier pour l’habitat abordable ?
Le 19/05, la chercheuse a participé à la session de 2h30 "Financement de l’habitat abordable dans les villes intermédiaires en Afrique" organisée à l’initiative de l’AFD avec le soutien de CAHF et de RHF. Elle y a fait une présentation intitulée "Comment mobiliser le foncier pour l’habitat abordable ?", afin de libérer du foncier et rendre accessibles des logements locatifs dans les centres urbain.
Alors que le Maroc parle de créer des réserves foncières pour planifier la croissance urbaine, le Kenya, au fil des ans, a dilapidé les terres publiques qui auraient permis de diminuer le coût de construction de logements sociaux. A l'heure actuelle, les autorités kényanes ont opté pour la densification des habitations dans les anciens quartiers de logements sociaux, dans la mesure où ces quartiers n'ont pas encore été privatisés. A terme, elles visent la vente des nouveaux logements construits. Il s'agit de programmes de construction qui ne sont pas destinés aux plus pauvres mais aux résidents urbains qui ont les moyens d'acheter un logement. L'accès à ces logements subventionnés, en nombre insuffisants, devient par conséquent un privilège.
Comment se tourner alors vers le marché privé du logement pour augmenter le nombre des appartements à prix abordable? En résumé, sur le marché privé, les stratégies des acheteurs pour réduire les coûts sont de plusieurs ordres: recourir au marché des droits fonciers non statutaires qui est résiduel au Kenya (mais dans lequel, contre toute attente, l'Etat intervient fortement), s'éloigner du centre ville pour aller en périphérie rurale avec l'inconvénient de l'éloignement du lieu de travail (parfois lié à l'économie du quartier d'habitat informel lui-même, comme souligné par Deyssi Rodirgues-Torres), constituer un groupe et s'associer pour acheter une large parcelle et la subdiviser en parcelles individuelles (avec les problèmes d'extorsion liés à des rapports de pouvoir non régulés), ou acheter une terre dans sa région d'origine pour sa retraite (usage ancien au Kenya mais en pleine mutation).
Contrôlé jusqu'en 2006 environ, le marché privé est en pleine expansion, comme souligné par Bérénice Bon, chargée de recherche IRD en poste au CESSMA, qui travaille sur le marché financier du placement foncier et de la construction urbaine. La multiplication des intermédiaires, juristes, administrateurs locaux et hommes/femmes d'affaires, mérite toute notre attention. Souvent compris comme les acteurs clé de la spéculation foncière, leur connaissance du marché est déjà mise au service d'acheteurs sélectionnés. Leur savoir-faire pourrait-il être mis au service de l'objectif d'un habitat bon marché pour le grand nombre? Nombre d'entre eux se placent déjà sur ce terrain.
Toutes ces dynamiques reposent le problème irrésolu de l'habitat des plus pauvres, d'où l'idée, débattue au cours de la séance, de soutenir, en complément à un programme d'accession au logement pour la classe moyenne, la construction de logements locatifs à loyers subventionnés avec des critères stricts d'attribution. Nous en revenons ainsi à la question initiale: comment trouver de nouvelles terres pour ces logements locatifs alors que les terres publiques dans les centres urbains sont déjà utilisées, tout particulièrement pour des programmes de construction destinés aux classes moyennes?
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