Date: 1er mars 2016
Source: Malijet
Par Essor
Ils présentent de sérieux inconvénients dont la déforestation accélérée, le renchérissement des denrées alimentaires dans le monde, la dégradation des conditions de travail de nombreux producteurs agricoles
L’enfer des biocarburants est-il pavé de bonnes intentions ? Les chercheurs et les experts de l’environnement posent cette question au regard de l’explosion en cours des agrocarburants, communément appelés biocarburants après leur apparition sur le marché. Depuis lors le « biocarburant » désigne tous les combustibles liquides produits à partir de plantes cultivées.
Beaucoup préfèrent l’appellation « agrocarburants » à celle de « biocarburants » pour souligner l’impact de ceux-ci sur l’agriculture et les cultures vivrières. Deux types de biocarburants dits de première génération ont tout d’abord été développés. Il s’agit en premier lieu de la filière bioéthanol. C’est un alcool mélangé à l’essence qui est aussi appelée super éthanol. Poussée par les céréaliers et les betteraviers, le bioéthanol est fabriqué à partir de plantes à sucre (canne à sucre, betterave, blé, etc.).
La filière du biodiesel, dérivée d’huile végétale, est utilisée dans les moteurs diesel. Ce biocarburant est produit à partir du colza, du soja, de l’arachide et du tournesol. Il est proposé à la pompe avec le gazole dans une proportion de 5 %. En Europe, on fabrique surtout de l’huile pour biodiesel, tandis qu’aux États-Unis et au Brésil, on préfère la fermentation alcoolique des sucres pour produire de l’éthanol. Les biocarburants de 1ère génération sont aujourd’hui produits à l’échelle industrielle. Mais ils ne peuvent être produits qu’en quantité limitée, dans la mesure où ils entrent en concurrence avec la production alimentaire.
Les chercheurs ont découvert de nouvelles matières premières menant à une deuxième génération de biocarburants fabriqués à partir de déchets végétaux et à base de cellulose (feuilles, paille, déchets agricoles, bois, plantes dédiées, résidus forestiers, etc.). Les procédés de fabrication sont encore à l’étude. La mise en production industrielle est envisagée à l’horizon 2020. La troisième et la quatrième génération de biocarburants pointent du nez. Elles sont développées respectivement à partir d’algues, et de micro-organismes génétiquement modifiés. Les défis techniques et économiques sont nombreux avant de les vendre dans les stations services.
Cependant, produire et utiliser plus de biocarburants n’a pas que des avantages. Le biocarburant émet moins de CO2 dans l’atmosphère. Il limite le réchauffement planétaire. Il offre du travail dans les zones rurales. Mais bien vite, les biocarburants de première génération sont apparus comme une vraie fausse bonne idée.
Pourquoi ? La production massive de biodiesel ou d’éthanol a de sérieux inconvénients parmi lesquels la déforestation accélérée, le bilan énergétique décevant, le renchérissement des denrées alimentaires dans le monde, la dégradation des conditions de travail de nombreux producteurs agricoles. Pour ceux qui croient tenir La solution au réchauffement climatique et qui poussent la production industrielle des biocarburants, la remise en question doit se faire … et vite ! Il faut trouver des surfaces pour cultiver. Les cultures les plus efficaces pour les biocarburants sont des cultures tropicales.
bilan écologique très douteux. Le Brésil produit 6.000 litres d’éthanol avec un hectare contre 1.200 litres pour 2 fois plus cher en Angleterre par exemple. Les surfaces occupées par la canne à sucre plantée pour le biocarburant empiètent souvent sur des pâturages ou sur la forêt amazonienne ou vers le cerrado qui, sur un quart des surfaces, représente les meilleurs sols brésiliens. L’organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a commandité des études. Elles montrent clairement qu’il est illusoire de penser que l’extension des cultures destinées aux biocarburants ne va pas empiéter sur les surfaces agricoles disponibles par habitant. La culture du soja, du maïs, érode les sols, pollue les nappes phréatiques, nécessite de grandes quantités de pesticides, d’engrais, de carburant pour la plantation, la récolte et le séchage.
L’Agence européenne de l’environnement estime qu’en France la surface agricole nécessaire pour les agrocarburants était de 0,5 million d’hectares en 2010 et atteindrait un million d’hectares en 2020. Le maïs a connu une inflation des prix sur toute la chaîne de production et de vente. En effet, le maïs sert à de nombreux usages : nourriture pour animaux, édulcorant alimentaire, etc.
Généralement, le blé qui sert pour l’éthanol, le colza et le soja qui servent pour le biodiesel, sont tous affectés par une hausse mondiale des prix, parallèlement à une diminution historique des stocks. Partout dans le monde, les consommateurs en ressentent déjà les effets négatifs. Certains gouvernements essayent de freiner l’essor des biocarburants, notamment la Chine et l’Inde . La pénurie alimentaire est un risque, une conséquence directe de la pression sur les surfaces agricoles et les prix.
Le manioc sert aussi à fabriquer du biocarburant. Plusieurs experts annoncent des hausses de prix énormes sur toutes les denrées alimentaires de base dans le monde entier ; par exemple +41 % pour le maïs d’ici à 2020 ; +76 % pour les oléagineux (colza, soja, tournesol) ;+30 % pour le blé ; +135 % pour le manioc, aliment crucial dans les pays les plus pauvres d’Afrique subsaharienne, d’Amérique latine ou d’Asie. Si les prix alimentaires restent connectés à ceux du pétrole, ce sont 1,2 milliard de personnes qui risquent de ne pas manger à leur faim d’ici 2025. La Banque mondiale estime que la consommation calorique des populations les plus pauvres diminue de 0,5 %, chaque fois que le prix des principaux produits alimentaires augmente de 1 %. Quand une denrée alimentaire augmente, elle est remplacée par une autre, moins chère, mais moins riche et moins nourrissante.
Le bilan écologique est très douteux des biocarburants. Si on prend en compte d’autres critères comme les émissions de gaz à effet de serre par kilomètre parcouru, on constate que les gains apportés par les biocarburants sont assez médiocres et parfois plus que mitigés. Par exemple, rouler en biodiesel émet plus d’oxyde d’azote que rouler à l’essence. Avec un bilan écologique modeste, l’éthanol, fabriqué à partir du maïs ou de soja, dont la production est gourmande en énergie et très polluante, n’est vraiment pas la panacée. Une récente étude de Stanford University montre par ailleurs que l’éthanol fabriqué avec du maïs, de la canne à sucre ou de la betterave est mauvais pour les poumons. Certes, l’éthanol est un biocarburant qui dégage moins de gaz à effet de serre et moins de benzène que l’essence, mais il produit beaucoup plus de composé organique volatil (COV), qui est une des causes du smog et de la formation d’ozone (l’acétaldéhyde).
Pour faire le bilan en termes d’émissions de gaz à effet de serre des biocarburants, il faut prendre en compte l’impact global de leur culture, y compris l’impact du changement indirect d’affectation des sols sur les émissions.
L’utilisation de terres initialement dédiées à la production alimentaire entraîne, indirectement, la déforestation. Cette perte du couvert végétal a un impact bien plus important par la libération des stocks de carbone séquestrés par les forêts primaires que les gains faibles des biocarburants en théorie. Le rendement des biocarburants de seconde génération promet d’être bien meilleur que ceux de la première génération.
L’ECHEC DE L’EXPERIENCE MALIENNE
Dans le cadre de sa politique énergétique, le Mali avait beaucoup misé sur la filière des biocarburants. Depuis 2008, l’Etat a élaboré une stratégie nationale de promotion de biocarburant, qui a abouti à la création de l’Agence nationale de développement des biocarburants (ANADEB). L’agence travaille sur la possibilité de développer un certain nombre de bioénergies. Dans un premier temps les efforts se concentrent sur les biocarburants liquides (huile de pourghère) et gazeux (méthane). Le programme intensifiera ensuite la recherche sur le biogaz et les gazogènes (oxyde de carbone) pour la production de l’éthanol utilisé dans le transport et la production de l’électricité. Après quelques années d’occupation de l’espace médiatique, l’ANADEB est désormais muette et invisible sur le terrain.
Toutes les initiatives sont au point mort. Son projet phare sur la promotion de la culture et l’utilisation de l’huile de jatropha comme biocarburant (2011-2015) est à sa phase finale. Des résultats ont été enregistrés. Mais le secteur reste fortement tributaire des opérateurs privés étrangers. Beaucoup d’entre eux opèrent dans la plus grande opacité dans les zones rurales. A l’insu des autorités, les flibustiers du développement à la base louent à prix d’or les terres des paysans. Les produits sont directement collectés et exportés à l’étranger au grand dam des opérateurs locaux qui n’ont pas les moyens de soutenir cette concurrence déloyale.
Auparavant, plusieurs initiatives privées avaient vu le jour dans notre pays. Mais, faute d’accompagnement et de soutien politique, elles ont toutes échouées au profit des grands groupes étrangers qui opèrent illégalement dans le domaine. On peut citer à cet effet, le groupe GMI. Il est présent dans le cercle de Kita et la société Mali biocarburant, dans la région de Koulikoro. Cette dernière avait suscité un grand espoir chez les paysans de la région avant de les décevoir.
Aujourd’hui, la société, après avoir bénéficié d’une subvention de l’Agence française de développement, a mis la clé sous la porte. Le promoteur, un Néerlandais du Nom d’Hugo Virgkil, a pris la poudre d’escampette. Les producteurs locaux qui avaient tout abandonné pour se consacrer à cette activité se retrouvent aujourd’hui dans le dénouement total. Sans soutien de l’Etat, ils n’ont que leurs yeux pour pleurer.
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