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News & Events Le modèle néolibéral en Colombie: spoliation et accaparement des terres
Le modèle néolibéral en Colombie: spoliation et accaparement des terres
Le modèle néolibéral en Colombie: spoliation et accaparement des terres
Accaparement des terres
Accaparement des terres

Date: 02 juillet 2016


Source: Investig'action


Par Dilberto Trujillo


Au cours des dernières décennies, l’accaparement des terres par les États, les entreprises privées et les particuliers a augmenté de manière exponentielle. Cette situation met en danger la souveraineté alimentaire des peuples ainsi que celle de millions de citoyens dans le monde.


L’organisation GRAIN a rapporté dans une étude que, depuis 2006, environ 35 millions d’hectares de terre répartis dans 66 pays ont été achetés par des investisseurs étrangers pour la production de denrées alimentaires1. Un nombre important de ces appropriations se produit en Afrique, mais existe aussi en Amérique latine, en Asie et en Océanie.


En Colombie, le processus d’accaparement des terres a ses particularités : à l’époque coloniale, la terre a été attribuée aux Espagnols et aux créoles de la classe oligarchique émergente de la Colombie et ces derniers ont accumulé de vastes étendues de terres qui, par la suite, ont été transférées à leurs héritiers. Au cours du siècle dernier, de nouveaux territoires ont été colonisés par des paysans pauvres. Ces mêmes territoires (Caqueta, Meta, Antioquia, par exemple) ont ensuite fait l’objet d’accaparement par d’anciens et de nouveaux grands propriétaires qui, dans la plupart des cas, ont utilisé des méthodes violentes. Les paysans alors déracinés ont entrepris de nouveaux processus de colonisation, ce qui engendra encore l’expansion de la frontière agricole. Depuis la fin de la seconde moitié du XXe siècle et jusqu’à présent, le processus d’occupation des terres a été exacerbé par l’émergence de l’économie de la drogue. La loi 160 de 1994 a cependant délimité une quantité importante de terres incultivables appartenant à la Nation.


En Colombie, la terre a été liée au pouvoir car posséder de grandes étendues de terre donne le pouvoir politique et le statut social au possesseur. En outre, les terres en Colombie ont été un instrument : en termes marxistes classiques, la terre en Colombie ne joue pas un rôle majeur dans le capitalisme car elle ne génère pas de capital qui peut être réinvesti pour générer encore plus de capitaux. En effet, les terres en Colombie génèrent une accumulation de revenus et, jusqu’aux années 50 du siècle dernier, le système de production rural ressemblait plus à une exploitation féodale qu’à une production capitaliste. Les modèles de développement appliqués en Colombie ont généré une «ruralisation» des villes, c’est-à-dire une migration massive des paysans vers les villes. Causés par la pauvreté et non par un développement économique agricole, ces déplacements ont de fait augmenté la taille des bidonvilles. Au cours de la première moitié du siècle dernier, la proportion d’habitants en Colombie était d’environ 70% des personnes vivant dans les zones rurales et 30% vivant dans les zones urbaines, aujourd’hui, cette proportion s’est exactement inversée2.


Caractéristiques du modèle néolibéral dans le secteur agricole :


-Politiques monétaires restrictives: augmenter le taux d’intérêt pour diminuer l’inflation et la dévaluation.


-Politiques fiscales restrictives: augmenter les impôts à la consommation et réduire les impôts à la production et à l’accumulation de rente.


-Libéralisation du commerce et des investissements privés: signature de plusieurs Accords de Libre-échange, TLC; importations massives de produits agricoles; monopoles des semences par les grandes multinationales et interdiction de l’usage de semences produites localement; accaparement des terres; élimination ou réduction de barrières tarifaires d’importation des produits agricoles; monoculture; Mise en place de barrières dans les pays développés aux produits agricoles des pays du tiers monde; élimination des subventions aux petits paysans (tandis que, dans les pays développés, elles sont toujours maintenues et même augmentées); spécialisation en production de matières premières .


-Privatisation: privatisation de l’assistance technique agricole aux petits paysans; fermeture des instruments de commercialisation des produits agricoles publics qui régulent les prix des grains, semences, engrais, etc.


-Déréglementation: on considère que trop de règles et de lois inhibent l’activité économique, approbation de lois favorisant l’accaparement des terres par des investisseurs nationaux et étrangers.


Le modèle néolibéral et le secteur agricole en Colombie:


Le modèle actuel donne la priorité à la production rurale dans des domaines de l’économie qui peuvent être soumis à l’exportation, tels que la canne à sucre, les biocarburants et le caoutchouc qui demandent de grandes étendues de terres; sans compter les grandes exploitations qui se consacrent à l’élevage extensif. Ce modèle sacrifie la petite production agricole (économie rurale), qui est responsable de la production de 70%3 de tous les aliments consommés par les Colombiens pour donner la priorité aux importations. Selon la Société d’Agriculteurs de Colombie, SAC, entre janvier et novembre 2015, les importations de produits agricoles et agro-industriels en Colombie ont totalisé 10,6 millions de tonnes et sa valeur a atteint 5.369 millions de dollars.


A partir de 1991, les importations agricoles se sont mis à la mode. Ceci du fait de la mise en œuvre du modèle néolibéral qui a ouvert les frontières, supprimé les droits de douane, aboli les subventions agricoles et favorisé la signature de plusieurs accords de libre-échange (TLC). Les importations de la Colombie sont passées de 700.000 tonnes d’aliments en 1990 à plus de 10 millions de tonnes en 20154. De nombreuses organisations et tous ceux qui s’étaient opposés aux TLC ont vu leurs prédictions devenir réalité: des cultures telles que le blé, l’orge, l’avoine, les graines de sésame et le tournesol ont disparu. La production d’autres cultures, tels que le maïs, le coton, le sorgho et le soya, a chuté de façon spectaculaire5.


En Colombie, l’accaparement des terres a été lié à la spoliation effectuée par divers groupes armés illégaux. On ne peut pas parler de cette situation sans faire la liaison avec la guerre que le pays a connue au cours de la seconde moitié du siècle dernier. Cet accaparement est principalement dû à deux manières d’opérer, le plus important étant réalisé en utilisant la force.


1. L’achat légal des terres, par des particuliers ou des entreprises encouragées par le gouvernement colombien grâce à des normes juridiques, correspond en Colombie à un pourcentage minimum de terres amassées.


Ce dispositif (l’achat légal) est largement utilisé par les entrepreneurs qui utilisent les mécanismes permis par les lois colombiennes. Ces lois conçues dans le cadre du modèle de production de la monoculture et de l’exportation, la « modernisation du champ»; offre un cadre juridique sans être légitime pour autant. En effet, la spoliation se fait de façon «légale» car des terres de petits exploitants agricoles ou encore des terrains publics sont donnés aux entreprises nationales et étrangères. Le gouvernement colombien approuve des règles permettant l’accaparement des terres en s’appuyant sur un discours prônant le « développement», la modernisation et la compétitivité ».


Certains mécanismes juridiques sont des initiatives du Ministère de l’Agriculture6 comme les «Partenariats d’affaires». Dans le cadre de ce mécanisme d’affaires, l’entrepreneur signe un contrat avec de nombreux petits agriculteurs pour exploiter de l’huile de palme, du caoutchouc ou un autre produit; le paysan pauvre met la terre et la main d’œuvre à disposition et l’entrepreneur met à disposition l’assistance technique, les semences et achète souvent le produit à un prix inférieur à celui du marché. Ces contrats sont signés pour 20 ans et obligent le paysan à dépendre d’un employeur qui utilise tous les mécanismes à sa disposition pour exploiter de manière «légale» les petits producteurs. Il existe encore d’autres mécanismes juridiques tels que la récente loi adoptée par le Congrès7, le ZIDRES8.


Cela a généré une prolétarisation des agriculteurs qui reçoivent de bas salaires régulés par la production ou la quantité de produit récolté au cours de la journée.


Pour les concessions minières existe un autre mécanisme juridique d’accaparement des terres. Selon Alejandro Pulido, de la campagne «La Gran Mineria Envenena», à ce jour, le gouvernement national a donné en concession 5 millions d’hectares dans 12.000 titres miniers à des entreprises nationales et multinationales, mais les demandes de concessions couvrent environ 25 millions hectares. Ce mécanisme a des conséquences désastreuses sur l’environnement, les structures sociales, la souveraineté alimentaire, l’autonomie, l’autodétermination et la souveraineté nationale.


2. La spoliation comme mécanisme de l’accaparement des terres en Colombie. Bien qu’il n’y ait pas de chiffres exacts sur le nombre d’hectares qui ont été volés aux petits agriculteurs pendant la guerre en Colombie, on estime que près de huit millions d’hectares ont été volés et repris par les grands propriétaires terriens et les entreprises pour la plantation d’huile de palme, la plantation de caoutchouc, les routes de trafic de drogues, les cultures illicites, l’exploitation minière illicite et l’élevage extensif de bovins. Selon CODHES9, une ONG active dans le domaine des droits humains, environ six millions de personnes ont été déplacées de leurs terres et ont dû quitter leurs maisons, 45% des ménages déplacés sont dirigés par des femmes.


Ce fait sans précédent dans l’histoire de l’humanité place la Colombie au premier rang des pays qui connaissent un déplacement interne ainsi que la dépossession de millions d’hectares et un nombre impressionnant de meurtres liés à la propriété foncière. La Defensoría del Pueblo (Bureau de la Colombie de l’Ombudsman), dit «qu’entre 2006 et 2011, au moins 71 dirigeants des processus de restitution des terres ont été tués. Il y a une seule condamnation pour l’un de ces meurtres». Cela montre le niveau d’impunité et les liens étroits entre ceux qui ont volé des terres et le système judiciaire en Colombie. La spoliation comme mécanisme d’accaparement a également une implication politique: le contrôle du territoire. En effet, les régions où il y avait le plus de pillage étaient les zones où les groupes paramilitaires d’extrême droite avaient tenté de mettre en œuvre leur modèle socio- économique et leur projet politique. L’aménagement du territoire dans la logique du pouvoir paramilitaire s’identifie totalement à celle proposée par le modèle économique du gouvernement: la production de monocultures à grande échelle pour l’exportation, la modernisation de la campagne et le monopole des terres réparties entre quelques mains.


Le modèle néolibéral et l’accaparement des terres:


Selon l’indice de GINI, (où 0 correspond à une égalité totale et 1, à une inégalité absolue), la Colombie a aggravé sa distribution inéquitable des terres de 0,85 à 0,87 entre 2000 et 2012. En comparaison internationale, ce dernier atteint un des niveaux les plus élevés du monde. En effet, les exploitations de plus de 500 hectares occupent 62% du territoire national et sont détenues par seulement 4% des propriétaires10.  Actuellement, 77% des terres cultivables sont entre les mains de 13% des propriétaires, mais 3,6% d’entre eux ont 30% des terres11.  Entre 2000 et 2013, la surface associée à la culture de canne à sucre utilisée dans la production de biocarburants est passé de 0 à 41’000 hectares. Concernant l’huile de palme, la surface de culture est passée de 157’000 à 476’000 hectares12.  Au cours des trois dernières décennies qui ont été marquées par le conflit armé, on estime que 8 millions d’hectares ont été expropriés. Cela représente 19% des terres propices à l’agriculture du pays. 


Malgré le manque d’accès à la terre, 70% de la nourriture produite dans le pays proviennent de petits agriculteurs et en particulier grâce au travail des femmes.  La terre colombienne est étroitement liée au pouvoir local, national et à l’accumulation de rente. Le contrôle du territoire a joué un rôle clé dans ce processus de spoliation et d’accaparement. L’accaparement des terres est le résultat non pas des achats de terres – par les Etats ou des entreprises étrangères –, mais plutôt du phénomène de spoliation qui a eu lieu pendant la guerre et dont les politiciens, les propriétaires fonciers et les multinationales ont profité. 


En Colombie, il y a environ 10 entreprises et familles qui ont bénéficié de l’accaparement des terres: en premier lieu, Cargill opère à travers quatre de ses sociétés: Cargill de Colombia Ltda., Cargill commercial Colombia Ltda., La Colombie Agro SAS et Black River Colombia SAS. Deuxièmement la société Graines Monica, Poligrow avec des entreprises chinoises, argentines, étasuniennes et d’autres comme des usines du sucre comme Mayagüez, Manuelita, Riopaila bénéficient de cet accaparement. En troisième lieu, des familles qui se seraient approprié 2.000.000 hectares dans le cadre des opérations frauduleuses d’accaparement avant l’adoption de la loi ZIDRES (familles Santos, Valencia Iragorri, Sarmiento Angulo, Ocampo, Lafourie et Lizarralde)13. La participation des propriétaires étrangers est encore faible mais, avec la mise en œuvre de la loi ZIDRES, un grand espace a été ouvert à travers lequel ces derniers peuvent recevoir des concessions foncières illimitées, en particulier dans l’Altillanura colombien.