Date: 25 novembre 2019
Source: Farmlandgrab, HRW
L’insuffisance des mécanismes de contrôle aboutit à des atteintes aux droits des travailleurs et à l’environnement
(Londres) – Quatre banques de développement européennes financent actuellement une entreprise d’huile de palme en République démocratique du Congo qui viole les droits des travailleurs et rejette des déchets non traités, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. Le 25 novembre, cette société, Feronia, tiendra à Londres une réunion d’actionnaires en présence des quatre banques, afin de discuter de son bilan social et environnemental.
Le rapport de 95 pages, intitulé « A Dirty Investment: European Development Banks’ Link to Abuses in the Democratic Republic of Congo's Palm Oil Industry » (« Un sale investissement : Rôle des banques européennes de développement dans les abus commis dans le secteur de l’huile de palme en RD Congo » - résumé et recommandations en français), décrit en quoi des banques d’investissement d’Allemagne, de Belgique, des Pays-Bas et du Royaume-Uni négligent de protéger les droits des personnes qui travaillent et vivent dans trois plantations qu’elles financent. Human Rights Watch a constaté que Feronia et sa filiale en RD Congo, Plantations et Huileries du Congo S.A. (PHC), exposaient les travailleurs à des pesticides dangereux, rejetaient des déchets industriels dans les cours d’eau locaux et se livraient à des pratiques d’emploi abusives qui se traduisent par des salaires correspondant à l’extrême pauvreté.
« Ces banques pourraient jouer un rôle important pour favoriser le développement, mais elles sabotent leur mission en ne s’assurant pas que l’entreprise qu’elles financent respecte les droits de ses travailleurs et des communautés vivant dans les plantations », a déclaré Luciana Téllez, chercheuse auprès de la division Environnement et droits humains de Human Rights Watch et auteure du rapport. « Les banques devraient insister pour que Feronia remédie aux abus et s’engage à mettre en place un programme pour y mettre fin. »
Human Rights Watch a interviewé plus de 200 personnes, dont plus de 100 travailleurs, dans les trois plantations de l’entreprise : Boteka, dans la province d’Équateur, Lokutu, dans la province de Tshopo, et Yaligimba, dans la province de Mongala. Les chercheurs ont également interviewé des dizaines de fonctionnaires congolais et de dirigeants d’entreprises, dont l’ancien PDG de Feronia et le directeur général de PHC à Kinshasa.
Les quatre banques de développement –BIO (belge), CDC Group (britannique), DEG (allemande) et FMO (néerlandaise) – ont depuis 2013 investi 100 millions USD dans Feronia et PHC. Quant à CDC Group, outre ses investissements, elle possède 38 % de Feronia.
PHC est l’un des cinq premiers employeurs en RD Congo, avec plus de 10 000 travailleurs et environ 100 000 personnes vivant au sein de ses plantations. L’entreprise loue plus de 100 000 hectares de terres au gouvernement congolais dans le nord du pays.
Des travailleurs des trois plantations sont exposés à de grandes quantités de pesticides dangereux parce que l’entreprise ne leur fournit pas d’équipement de protection adapté, a constaté Human Rights Watch. Les chercheurs ont interviewé plus de 40 travailleurs, âgés de 25 à 46 ans, qui étaient exposés aux pesticides. Deux tiers de ces travailleurs ont déclaré qu’ils étaient devenus impuissants depuis qu’ils avaient commencé ce travail. Beaucoup ont décrit des irritations de la peau, des pustules et des cloques, des problèmes oculaires ou encore une vision floue – autant de symptômes qui correspondent aux conséquences médicales d’une exposition à ces pesticides mentionnées par la littérature scientifique et les fabricants. Certains pesticides utilisés dans les plantations peuvent aussi avoir des effets à long terme en cas d’exposition répétée, comme l’apparition de cancers. PHC a mis en place des visites médicales obligatoires pour ces travailleurs, comme l’y contraint la loi congolaise pour les métiers à risque, mais aucun des travailleurs interrogés n’avait jamais reçu les résultats des analyses.
Le bilan environnemental de PHC soulève aussi l’inquiétude, notamment pour l’impact de ses activités sur les communautés locales, a déclaré Human Rights Watch. Au moins deux des moulins à l’huile de palme que possède l’entreprise rejettent chaque semaine des tonnes de déchets non traités, ont admis plusieurs membres de l’équipe dirigeante de PHC lors des entretiens. Dans une des plantations, l’odeur pestilentielle envahit les domiciles des travailleurs, situés près du canal à ciel ouvert où sont rejetés les déchets. Le flot de déchets s’écoule dans un étang naturel où les femmes et les enfants viennent se baigner et faire la vaisselle. Les images satellitaires étudiées par Human Rights Watch montrent que l’étang débouche sur une petite rivière.
Les habitants d’un village en aval où plusieurs centaines de personnes vivent ont déclaré que cette rivière était leur seule source d’eau potable. Leur chef coutumier a déposé plainte auprès de PHC en novembre 2018, mais trois mois après, l’entreprise n’avait toujours pas agi pour mettre fin à la libération de déchets non traités, ni fourni de source alternative d’eau potable.
Les banques de développement ont mis en avant que leur investissement était un succès dans cette zone rurale de la RD Congo frappée par la pauvreté. Pourtant de nombreux travailleurs de la plantation ont déclaré qu’avec leurs maigres salaires, ils avaient beaucoup de mal à nourrir leurs familles. Beaucoup sont payés moins de 1,90 USD par jour, le seuil d’« extrême pauvreté » défini par la Banque mondiale.
PHC sous-paie souvent ses travailleurs et se sert de contrats temporaires qui ne confèrent pas de règlements en espèces, ce qui semble violer la loi congolaise. La société a nié ces faits, pourtant ils sont confortés par l’équipe de direction des plantations et les récits des travailleurs. Ce sont les femmes travaillant dans les plantations qui ont rapporté les salaires les plus bas. Ainsi à Boteka, une mère de six enfants gagne 7,30 USD par mois en cueillant les fruits du palmier à huile.
Les banques de développement ont une influence considérable sur les sociétés dans lesquelles elles investissent, a déclaré Human Rights Watch, étant donné les nombreuses conditions dont elles assortissent l’octroi de leurs prêts. En réponse à nos demandes de commentaires, les quatre banques de développement ont déclaré qu’elles avaient effectué des évaluations des risques et que des programmes étaient en place pour résoudre plusieurs de ces problèmes, mais qu’en vertu du secret des affaires, elles ne pouvaient pas révéler ces documents.
Les banques de développement devraient adopter des politiques qui garantissent que les sociétés dans lesquelles elles investissent versent à leurs employés des salaires de subsistance, a déclaré Human Rights Watch. Elles devraient réformer des aspects clés de leurs activités pour protéger les droits humains et remplir leur mission annoncée, qui est de favoriser le développement durable. Les banques devraient mener des évaluations systématiques des risques examinant spécifiquement en quoi les projets peuvent affecter les droits humains et établissant des plans de mise en œuvre de mesures d’atténuation accompagnés d’un échéancier précis. Elles devraient divulguer ces informations aux communautés potentiellement affectées et aux autorités concernées.
Les banques devraient aussi renforcer leurs mécanismes de plainte afin de fournir aux victimes un véritable recours, faire connaître ces systèmes auprès des communautés affectées et adopter des politiques protégeant des représailles ceux qui rapportent des abus ou expriment leur désaccord au sujet d’un projet d’investissement.
Sélection de cas extraits du rapport :
Christian Lokola (pseudonyme), âgé de 30 ans, a travaillé à la plantation de Lokutu pendant trois ans. Chaque jour, six jours par semaine, Lokola vaporise 300 palmiers de pesticides. Il gagne 1,60 USD par jour s’il termine sa tâche pour les 26 jours de travail mensuels. Les manuels de formation que PHC distribue aux travailleurs comme Lokola décrivent les précautions que doivent prendre les ouvriers pour protéger l’environnement, mais ne s’avancent guère pour leur expliquer les risques pour leur santé.
« Ils ne nous ont pas avertis à propos de la faiblesse sexuelle [l’impuissance], car s’ils l’avaient dit, nous aurions protesté », a expliqué Lokola. « Ils nous ont averti que nous devions nous protéger, mais sans nous dire quels étaient les risques... Nous en avons beaucoup, beaucoup parlé avec les médecins [de l’entreprise]. Le médecin [de l’entreprise] à Lokutu nous a dit : ‘Ce n’est pas un bon travail, mais c’est toujours mieux que le chômage.’ »
Dominique Azayo Elenga est le chef coutumier du groupement de Nyanzeke, qui comprend le village de Boloku, où vivent plusieurs centaines d’habitants, à cinq kilomètres de la plantation de Yaligimba. Suite à des pourparlers infructueux avec les représentants de la société, Azayo a formellement déposé plainte en novembre 2018, via le système de réclamations de PHC, affirmant que les déchets non traités de l’entreprise avaient contaminé l’unique source d’eau potable de Boloku.
Lorsque Human Rights Watch s’est entretenue avec lui en février, l’entreprise continuait à rejeter des déchets non traités et n’avait fourni aucune source alternative d’eau potable. Le directeur général de PHC a déclaré à Human Rights Watch en avril qu’il n’était pas au courant que des plaintes en ce sens aient été déposées dans ses plantations.
« Ma population [à Boloku] se sert de l’eau souillée par les déchets de l’usine », a témoigné Azayo. « Ils s’en servent. J’en ai parlé à Feronia, mais rien n’a encore été fait à ce sujet. C’était en septembre 2018. »
Gabrielle Musiata (pseudonyme) a travaillé comme cueilleuse de fruits à Boteka pendant plus de six ans. Elle et son mari travaillent tous deux à la plantation pour élever leurs six enfants. Musiata a témoigné qu’elle gagnait entre 12 000 FC (7,30 USD) et 15 000 FC (9,10 USD) par mois et qu’elle travaillait pieds et mains nues, puisque l’entreprise ne fournissait aucun équipement de protection. « Nous sommes beaucoup de femmes », a déclaré Musiata. « Nous n’avons droit à rien. Nous travaillons sans bottes ni gants – à mains nues. Parfois les fruits [que nous devons ramasser] tombent dans la bouse de vache ou les excréments humains. »
Dans un entretien distinct, un ancien gérant qui supervisait plus de 200 travailleurs dans la plantation de Boteka a déclaré que les femmes étaient essentiellement employées comme journalières pour ramasser les fruits dans la plantation et qu’elles étaient payées 30 FC (0.02 USD) par sac de 10 kilos qu’elles pouvaient remplir. Il a estimé qu’elles ne pouvaient guère remplir plus de 15 sacs par jour. Il a déclaré que la paye maximale qu’une femme pouvait espérer atteindre était de 9,10 USD.
Original source: HRW