1) Prof. Ngana, pourquoi avoir lancé cette unité de formation sur les questions foncières à l’Université de Bangui ? À quels besoins la formation répond-elle ?
C’est NELGA qui nous a motivés. Je suis le Point Focal pour NELGA en République centrafricaine. Dans le cadre de la mise en place de sa structure dans les universités d’Afrique centrale, NELGA avait lancé une enquête pour réviser le curriculum de l’enseignement de la gouvernance foncière.
Depuis sa création en 1969, l’Université de Bangui n’avait pas d’unité de formation spécifique sur les questions foncières. Néanmoins, le foncier était abordé dans diverses matières comme le droit foncier et le droit de l’environnement à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques ; l’aménagement du territoire, la géographie rurale et urbaine, la cartographie et la géomatique au Département de géographie à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines ; l’économie rurale et la rente foncière à la Faculté des Sciences Economiques et de Gestion ; l’agronomie, la foresterie et l’élevage à l’Institut Supérieur de Développement Rural.
À cause de l’inexistence d’une formation spécifique en gouvernance foncière, l’Université de Bangui était classée inéligible au financement de la révision du curriculum envisagé par NELGA. Compte tenu de l’importance des questions foncières dans le processus de décentralisation que le pays a entamé, nous avons décidé de lancer cette formation. En 2018, nous avons constitué une petite équipe d’enseignants pour combler ce vide en initiant cette Unité de Formation et de Recherche. C’est en juin 2021 que le Conseil d’Université de Bangui a approuvé le programme et la License 3 a été lancée en octobre 2022, au titre de l’année académique 2022-2023.
Cette formation répond aux besoins de développement et de réduction de la pauvreté du pays. En effet, nos communes n’ont pas de cadres bien formés en matière de gouvernance foncière, pour permettre à ce que les ressources de la terre soutiennent le développement économique.
La formation est conçue de manière à renforcer la capacité des communes de la RCA à la bonne gouvernance des ressources foncières en vue de réduire l’extrême pauvreté dans laquelle la population, les communes et l’État se trouvent. 75% des Centrafricains vivent en dessous du seuil de la pauvreté et environ 71% sont analphabètes. La population manque de plus d’information sur la législation foncière. Les occupants traditionnels rendent parfois difficiles les travaux d’aménagement du territoire. Les cadres qui sont formés grâce à ce programme pourront soutenir le processus de décentralisation en mettant un accent particulier sur le développement local pour aider les populations à vivre de leurs terres.
2) Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs qu’est-ce qu’une Licence 3 en République centrafricaine ? Quels sont les thèmes abordés dans cette formation ?
La Licence 3 en foncier en République centrafricaine s’inscrit dans le cadre du système Licence, Master, Doctorat (LMD) et correspond à un Bac +3. Nous recrutons les étudiants avec leur Bac +2 dans toutes les filières sans exception compte tenu du caractère pluridisciplinaire des études en foncier. Les étudiants ont déjà un prérequis de deux ans après leur Bac.
La licence 3 dure donc une année. Elle fournit les connaissances de base sur le foncier dans toutes ses dimensions et offre les opportunités pour la poursuite des études en Master qui durent deux ans. Le programme est pluridisciplinaire et rassemble des professeurs de droit, géographie, sciences naturelles, anthropologie, histoire, sociologie, etc.
Les matières spécifiques abordées en licence 3 concernent la définition et typologie du foncier ; le droit et réglementation du foncier ; les composantes du foncier urbain et périurbain ; le foncier minier et les ressources stratégiques ; les réalités anthropologiques du foncier ; le foncier coutumier et l’influence coloniale ; les questions de genre et d’accès au foncier ; la topographie et immatriculation foncière. Cette dernière matière est même enseignée par un cadre du ministère de l’Urbanisme.
Le programme de Master 1 est en construction pour la rentrée 2023-2024. L’objectif du Master consistera à maîtriser les techniques de la bonne gouvernance foncière et les stratégies du développement local pour mettre en œuvre les connaissances acquises en licence 3. À terme, l’objectif est de mettre en place une école doctorale pour permettre aux étudiants centrafricains de soutenir une thèse sur le foncier à l’Université de Bangui. Un Observatoire du Foncier sera créé pour s’occuper de cette formation et de la collecte des données foncières dans le pays.
3) Avez-vous des témoignages sur l'impact de votre formation ?
Oui ! Nous ne sommes qu’au début du processus, mais les témoignages sont déjà encourageants. Deux de nos étudiants sont chefs de service au ministère de l’Urbanisme. Cette formation leur a permis de prendre conscience qu’avec un territoire aussi vaste que celui de la RCA, l’État central seul ne peut suffire pour assurer une bonne gouvernance foncière. Il faut doter les communes des compétences requises pouvant travailler auprès de la population et les opérateurs économiques, dans le cadre de la décentralisation des services de l’État au profit des collectivités territoriales.
Le pays est en train d’organiser des élections municipales. Auparavant, les villes étaient gérées par des Présidents de la délégation spéciale nommés par décret. Le pays n’avait pas de maires élus. Nous allons en avoir après les élections municipales en préparation en 2023.
Nous espérons former plus d’étudiants qui aspirent à devenir maires dans leur commune d’origine pour qu’ils puissent assurer la bonne gouvernance du foncier dans leur localité. Certains enseignants de l’Université de Bangui, qui ont déjà leur Master, envisagent d’ailleurs de s’inscrire et suivre cette formation dans ce but.
4) Le Land Portal est une organisation qui s'efforce d'améliorer l'accès aux données et aux informations foncières. Dans de nombreux pays, les informations telles que les registres fonciers, les données statistiques et les publications sur les questions foncières ne sont pas disponibles en ligne ou il faut payer pour y accéder. Quelle a été votre expérience dans la collecte de contenu pour cette formation ? Avez-vous été confronté à des défis similaires ?
Non ! Nous n’avons pas connu ce problème. Grâce aux institutions comme CIFOR, PRASAC, NELGA et Land Portal, nous avons facilement obtenu ces informations. Au niveau du pays aussi, nous avons eu beaucoup de facilité de par nos différentes fonctions. Les services des ministères des Eaux et Forêts, Urbanisme, Agriculture ont collaboré avec nous pour partager les données. Comme le foncier est source de nombreux conflits en RCA, l’administration s’est montrée intéressée par la formation.
Nos activités de terrain avec les étudiants nous ont aussi beaucoup simplifié la collecte des données pour construire ce programme de formation. Nous mobilisons ces données dans le cadre de notre enseignement.
La langue est quand même un facteur limitant pour nous qui sommes dans un pays francophone. Comme solution, les étudiants sont obligés de traduire eux-mêmes certains documents de l’anglais au français.
5) Y a-t-il d’autres défis auxquels vous êtes confrontés pour assurer cette formation ? Comment résolvez-vous ces problèmes ? Y a-t-il des facteurs facilitants ?
Oui ! Il y a beaucoup de défis, surtout concernant le financement et le manque de partenariats. Les enseignants réclament le paiement de leurs heures supplémentaires alors que l’État n’a pas les moyens de financer cette formation. Nous ne disposons pas de véhicules pour les sorties de terrain. Il n’y a pas non plus d’appui en termes de bourses ou de dotation en ordinateurs pour les étudiants.
La faible disponibilité en salles de cours est aussi un facteur limitant. Des dispositions seront prises à l’avenir pour avoir un bâtiment spécifique à cette formation.
6) Y a-t-il autre chose que vous aimeriez partager avec nos lecteurs ?
Oui ! Nous aimerions partager notre vision avec les lecteurs de Land Portal. NELGA de l’Université de Bangui en République centrafricaine va se constituer en Fédération académique en consortium (FAC) rassemblant les différentes disciplines concernées par le foncier.
Nous allons acheter un terrain à la périphérie de la ville de Bangui pour nos travaux pratiques en agriculture, en agroforesterie, en urbanisme, en tourisme et hôtellerie, en pisciculture, en mines et en élevage en vue de nous-mêmes donner un exemple de la bonne gouvernance foncière et du développement local. Nous nous sommes inspirés de l’Université de Stellenbosch en Afrique du Sud. Cette stratégie permettra de joindre la théorie à la pratique, de concilier la formation à l’emploi et la recherche au développement. L’Unité de Formation et de Recherche (UFR) deviendra à cet effet une Unité de Formation et de Production (UFP). C’est le début de la création de ces villages qui seront appelés « NELGA UB Villages ».
Concrètement, l’ouverture de la Licence 3 en Gouvernance foncière et développement local à l’Université de Bangui en République centrafricaine a pour but de former des maires pour nos communes sur la gouvernance foncière et le développement local, ainsi que former des docteurs, avec la possibilité d’avoir des gouverneurs compétents pour nos régions.