Date: 07 mars 2016
Source: Reporterre
Par Audrey Cordova
26 communautés indigènes sont affectées par la fuite d’un oléoduc. L’entreprise pétrolière paraît incapable de nettoyer les dégâts, alors que les épanchements de pétrole se sont multipliées ces derniers mois.
[-] Lima (Pérou), correspondance
« Je vis près du fleuve Chiriaco. Ce matin-là, nous étions en train de pêcher et des enfants ont commencé à sortir des poissons avec des traces noires. On les a mangés sans vraiment nous soucier de que nous étions en train de faire. C’est la dernière fois que nous avons pu consommer du poisson du fleuve », raconte à Reporterre, au téléphone, Jania Danducho, 30 ans, du village de Nazareth (district de Imaza, province de Bagua, région Amazonas), dans le nord du Pérou, à plus de 16 heures de route de Lima, la capitale.
Nazareth est un village indigène touché par la première fissure de l’oléoduc Nor Peruano, qui s’est produite le 25 janvier, au niveau du kilomètre 440, laissant échapper dans le fleuve Chiriaco près de 3.000 barils de pétrole et affectant ainsi près de 3.200 personnes vivant dans la zone. « Nous avons commencé à donner l’alerte entre habitants puis entre communautés. L’odeur a été très forte durant les premiers jours. On sentait aussi comme une brûlure près des yeux », confie Jania. Les jours suivant l’écoulement, des photos d’enfants les mains couvertes de pétrole ont circulé sur les réseaux sociaux et dans certains médias péruviens.
Des enfants embauchés pour ramasser le pétrole
« Quand je suis arrivé dans la zone fin janvier, on m’a dit qu’il y avait eu une fuite. Les intempéries du 9 février n’ont fait qu’empirer la chose puisque le pétrole, qui était d’une certaine façon retenu avec des barrières de contention dans le ravin d’Inayo, a débordé dans le fleuve Chiriaco », raconte l’anthropologue Rodrigo Lazo, qui a été l’un des premiers à donner l’alerte sur place et sur les réseaux sociaux. Aucun média n’avait alors encore rapporté les faits.
Et c’est justement après cette forte pluie que Petroperú, qui avait commencé le nettoyage, a dérapé.« Un ingénieur a dit aux enfants que, pour un seau de pétrole récupéré, ils seraient payés 2 soles[0,50 centime d’euros] et les adultes, 200 soles [environ 50 euros] », ajoute Jania. Selon les membres du village de Nazareth, soixante enfants ont été en contact direct avec le pétrole lors du nettoyage. Après quelques jours, certains adultes et des enfants ont commencé à ressentir des maux de ventre, de tête et des démangeaisons sur le corps.
« Cela montre, d’une certaine façon, un acte désespéré de l’entreprise et de ceux qui y travaillent. Au début, le nettoyage s’est fait avec les adultes des communautés affectées, de façon formelle et avec des mesures de sécurité. Mais, après les fortes pluies du 9 février, la situation s’est dégradée », constate l’anthropologue Rodrigo Lazo.
Le président de l’entreprise Petroperú, Germán Velasquez, avait alors farouchement nié, lors d’une interview à une radio nationale, la possibilité que des enfants aient pu travailler de la sorte : « Le premier ordre qui a été donné au début de la procédure a été justement qu’aucun enfant ne devait participer au nettoyage », avait-il déclaré. Quelques jours plus tard, Petroperú annonçait le licenciement de l’ingénieur qui avait proposé d’embaucher les enfants pour participer au nettoyage. À l’heure actuelle, un seul mineur ayant participé est en train de recevoir le traitement médical et de subir les analyses nécessaires promises par l’entreprise. 59 enfants de Nazareth sont encore dans l’attente.
« On ne peut rien faire de plus qu’attendre »
« Pour le moment, nous devons nous rendre à un ravin, situé à une heure de marche, pour pêcher du poisson qui soit comestible. Nous n’avons toujours pas reçu de suivi médical », explique Jania.« Malheureusement, la survie de ces communautés est en péril. Il est clair que leur qualité de vie va baisser et qu’il y a des risques de malnutrition. Le fleuve, qui était leur principale source de protéines, leur est complètement inaccessible. La catastrophe va toucher aussi le commerce et la vente de produits cultivés ou pêchés dans la zone », explique Rodrigo Lazo. « À Nazareth, nous venons tout juste de recevoir un réservoir d’eau et une partie des vivres et des provisions qui ont été promises par Petroperú. Pour le moment, on ne peut rien faire de plus qu’attendre », s’inquiète le chef de la communauté, l’apu Jorge Yampis.
« Ce dont ont besoin les villages, dans l’immédiat, c’est de l’aide humanitaire pendant les six, voire douze prochains mois. Ensuite, ce sera le moment des indemnisations via une procédure juridique. Cependant, rien n’est encore sûr concernant les indemnisations que vont recevoir les communautés, car des analyses de sang et d’urines sont nécessaires afin de prouver que la vie des habitants a été en danger. Chose qui n’a été faite que trop tardivement », estime l’anthropologue Rodrigo Lazo.
« Le processus de réparation est en cours. Le suivi médical vient tout juste d’être mis en place avec des laboratoires et des médecins spécialisés. Après cette première phase, nous devrons procéder à la répartition des vivres et des provisions ainsi qu’aux indemnisations des familles », explique l’ingénieur José Luis Mateo Medina, de l’Institut de défense civile de Bagua (Indeci).
Cependant, Petroperú doit faire face à de nombreuses procédures, les fuites étant très fréquentes. Ainsi, ce même oléoduc Nor Peruano a connu une autre fuite après celle du 25 janvier à Nazareth. Le 3 février, près de 2.500 personnes du district de Morona (région de Loreto) ont à leur tour été touchées. Trois semaines après les écoulements d’Imaza et deux semaines après ceux de Morona, l’État péruvien a décrété, le 17 février, l’état d’urgence sanitaire pour 26 communautés indigènes.
Petroperú doit actuellement payer une amende de 3,6 millions de dollars, a annoncé il y a quelques semaines l’organisme péruvien d’évaluation et fiscalisation environnementale (Oefa). Cependant, face aux récidives de l’entreprise et au manque de respect des délais pour prendre des mesures préventives, l’Oefa a annoncé récemment avoir lancé une procédure administrative. L’amende pourrait s’élever à 17 millions de dollars. L’Oefa a, de plus, ordonné à l’entreprise d’effectuer de façon immédiate le nettoyage et la réparation environnementale des zones affectées par les fuites de pétrole, cela dans un délai de trois mois.
« Nous devons attendre la pluie pour pouvoir boire de l’eau »
Sur place, Petroperú a chargé la société finlandaise Lamor du nettoyage des fleuves Chiriaco et Marañón, là où se sont produits les écoulements du 25 janvier et du 3 février. Ce qui peut inquiéter : en juin 2014, une autre fuite de l’oléoduc Nor Peruano, dans la région de Loreto, a laissé s’écouler 47.000 litres de pétrole dans le fleuve Marañón. La manière dont le nettoyage a alors été réalisé a été vivement critiquée : déjà missionnée, l’entreprise finlandaise Lamor avait utilisé des produits non recommandés pour ce type de fuite et qui n’ont fait que pousser le pétrole au fond du fleuve. Aujourd’hui, « le pétrole est toujours présent dans le Marañón. Nous n’avons pas d’eau potable et nous devons attendre la pluie pour pouvoir en consommer. Nous sommes toujours inquiets », expliquait ces derniers jours le président de la communauté Cuninico, le chef apu Galo Vásquez, à une radio nationale.
En 20 ans, l’entreprise a vu plus de 37 écoulements se produire tout au long de son infrastructure. Ces fuites à répétition, l’incapacité de Petroperú à y remédier et les lenteurs de la mise en œuvre des réparations font que le statut de l’entreprise nationale est devenu un sujet de conversation au sein de la société péruvienne.
Malheureusement pour le Pérou, l’entreprise Petroperú n’est pas la seule à être critiquable sur la conduite des réparations. Ainsi, l’entreprise privée argentine Pluspetrol, qui a été en charge de l’exploitation du lot 192 pendant 40 ans dans la région de Loreto, dans le nord de l’Amazonie, doit plus de 39 millions de soles (soit 10 millions d’euros) à l’État péruvien pour les infractions environnementales notifiées par l’Organisme d’évaluation et fiscalisation environnementale. De plus, elle n’a pas mené les opérations de remise en état du site après la fin de son exploitation.
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