Éthiopie : quand Slow Food creuse son sillon | Land Portal

La vallée du Rift. © DR

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Cultiver de manière responsable sans appauvrir les terres tout en se préoccupant de la biodiversité, faire des choix de consommation qui conjuguent écologie et éthique, voilà le programme que le mouvement international Slow Food, par opposition à une certaine mode du fast-food, tente d'implanter et de développer en Éthiopie. Son objectif : implanter 10 000 jardins en Éthiopie et sur le reste du continent. Ses mamelles : sensibiliser les populations à l'écogastronomie et à l'alterconsommation. Autant dire que, dans cet univers, la permaculture, cet art de vivre qui associe culture enrichissante de la terre et aménagement du territoire, y prend un essor appréciable. La preuve : des milliers d'hectares de bananeraies, de maïs et de tef sont parsemés au milieu de ces champs et des dizaines de lacs perdus au tréfonds des collines de la vallée du rift éthiopien. Ici, la terre est riche et grasse. Le climat est humide. Le long des routes, les paysans transportent leurs récoltes à dos d'âne. Les petits camions Isuzu font halte dans les villages pour charger des cargaisons de bananes à destination d'Addis Abeba. Une illustration que la vaste région des peuples du Sud est le grenier de l'Éthiopie.

Asmelash sillonne la vallée du rift pour le compte de la fondation Slow Food

Ces paysages sont le terrain de jeu d'Asmelash. Ce permaculturiste de 27 ans sillonne la vallée du rift, de Hawasa à Konso, pour le compte de la fondation Slow Food. Bénévolement. Il passe d'école en école pour dispenser la bonne parole et surtout des séances de formation à l'agriculture responsable. Asmelash débarque à Gato, son village natal. Les commerçants et les pépés saluent "Best", son surnom. Dans la maison familiale, sa mère est occupée à tisser du coton à l'ombre d'un papayer. Dans le jardin maternel, les manguiers cèdent une place aux bananiers. Les patates douces s'étalent aux pieds des goyaviers. Le fils prodigue arrache quelques tiges de citronnelle et fait bouillir de l'eau. Autour de l'infusion, il commence à se raconter.

Les principes appliqués sont ceux du pape de la permaculture en Afrique de l'Est

"C'est auprès du professeur Tichafa Makovere que j'ai tout appris. La permaculture, c'est l'art d'associer les plantes entre elles pour qu'elles s'aident mutuellement", dit-il. Mais qui est Tichafa Makovere ? Pape de la permaculture en Afrique de l'Est, ce Zimbabwéen a importé ce concept en Éthiopie. Depuis quatre ans, Asmelash applique à la lettre les principes du maître. Son jardin en est un bon exemple. Mais pour comprendre la portée de son travail, il faut rouler 25 kilomètres plus au sud, vers Konso. Lorsqu'Asmelash pénètre dans l'école de Kanat, à Konso, les gamins et les professeurs l'accueillent comme un membre de la famille. Cette école est l'un de ses projets pilotes. "Si ces enfants réalisent que la monoculture ne fait qu'appauvrir les sols et qu'il existe d'autres manières de cultiver la terre, alors le but est atteint, car ils pourront mettre en application ces principes dans les champs de leurs parents", explique Asmelash. 

En cette fin d'après-midi, le soleil vient chatouiller la pointe des arbres fruitiers éparpillés dans l'enceinte de l'école. Ararso Gognsha, bonhomme trapu et souriant, vient faire une accolade à Asmelash, avant de lui emboîter le pas pour un tour du propriétaire. Il est le responsable de la formation à la permaculture mise en place par Asmelash il y a trois ans. "Vous trouverez de tout ici. Nous essayons de planter toutes les espèces dont un être humain peut avoir besoin. De la nourriture, mais aussi du bois de construction, des plantes pour nous soigner. Nous voulons être le premier jardin de ce genre. Nous voulons recréer une forêt dans laquelle nos ancêtres auraient pu vivre", s'enthousiasme Ararso. On pourrait m'enfermer dans cette école plusieurs mois, je ne m'en inquiéterais pas, car j'aurais bien assez à manger !" dit-il. Et de poursuivre : "Vous voyez ce bananier ? Il n'y en a aucun sur les collines de Konso. Du coup, les gens ici sont surpris d'en voir. C'est que nous faisons vraiment attention à l'eau", ajoute-t-il.

Potagers, vergers, plantes médicinales autour des écoles

Accolés aux salles de classe, deux tankers ont été construits pour récupérer l'eau des gouttières. Le sol a été retravaillé en terrasses pour que les pluies glissent petit à petit sur chaque pied. Potagers, vergers, plantes médicinales sont partout, dans et autour de l'école de Kanat. Les enfants y travaillent aux heures de pause, mais aussi durant les cours, et ce, plusieurs heures par semaine. Samsun sourit fièrement devant "son" arbre. Malgré sa bouille de bonhomme, le collégien de 12 ans a de l'aplomb. "Pendant les grandes vacances, je viendrai m'occuper des jardins. Et quand je quitterai l'école, je verrai comment tout ça a poussé !" explique-t-il. Pour sélectionner ses écoles, Asmelash privilégie les zones rurales, afin de toucher un maximum d'enfants de paysans. Negato se triture les cheveux timidement, les pieds entre deux plants de blettes. "J'ai dit à mes parents que c'était bien mieux de jardiner comme ça, que c'est plus productif, qu'on conserve l'eau... Ils m'ont écouté ! Ils ont vu le résultat dans l'école. Maintenant, ils imitent notre travail de la terre", explique-t-il.

Derrière un désordre apparent, une organisation précise

Le rêve d'Asmelash, c'est de voir un jour ces plantations se transformer en "forêts comestibles". Et il faut dire qu'en certains endroits ce n'est plus un rêve. Plus au sud, par exemple, sur la route qui relie Konso au lac Turkana et à la frontière kenyane, Asmelash indique une piste caillouteuse. À mesure que le 4x4 s'engouffre, une abondante végétation remplace progressivement les champs de maïs. On pourrait croire à un joyeux désordre. Mais tout y est très organisé. "Les arbres procurent de l'ombre aux buissons. Les petites plantes procurent de la fraîcheur aux arbres. On associe les végétaux qui développent leurs racines en profondeur avec ceux qui poussent plutôt en surface. Sous les bananiers, on a planté des patates douces. Elles tapissent le sol et conservent l'humidité. Le résultat est que la terre s'enrichit au lieu de s'appauvrir. Et on rentabilise l'espace", dit-il.

Sur la route qui remonte vers Arba Minch, Asmelash observe un coucou prêt à décoller. Et le voilà qui affiche un sourire en fronçant les sourcils. "Il va pulvériser des pesticides sur les plantations autour..." En voilà donc un qu'Asmelash a encore à convaincre. Fait encourageant : ici, les agriculteurs écoutent le jeune scientifique avec de plus en plus d'attention. "Le Slow Food, c'est une révolution silencieuse", conclut-il. Et on peut le croire car Asmelash a habité cinq ans cette vallée perdue. C'est dire qu'il en connaît toutes les subtilités. Sans braquer les autochtones, il a doucement converti les paysans, les écoles et les chefs de communauté à sa conception de l'agriculture.

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