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Biblioteca L’agroécologie, l’alliée sous-estimée de la biodiversité

L’agroécologie, l’alliée sous-estimée de la biodiversité

L’agroécologie, l’alliée sous-estimée de la biodiversité

L’actualité de cet automne s’annonce exceptionnellement chargée sur les questions environnementales : les trois COP issues du Sommet de la Terre vont se réunir à quelques semaines d’intervalle, en commençant par la COP Biodiversité. L’agriculture étant dépendante des écosystèmes dans lesquels elle prend place, il semble logique de veiller à préserver leur équilibre et en particulier à protéger cette biodiversité.

Mais est-ce si simple ? Dans ce numéro, Transitions dresse un état des lieux : quels effets notre alimentation a-t-elle sur la diversité biologique ? Les termes et les solutions font-ils consensus ? Quels sont les enjeux ?

Ce dossier est tiré du numéro 144 du magazine Transitions.

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Parler de biodiversité : un choix politique

La biodiversité est définie par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) comme : « La somme de tous les écosystèmes terrestres, marins et autres systèmes aquatiques, de toutes les espèces et de la diversité génétique. Elle comprend la variabilité observée entre et au sein des organismes vivants et des complexes écologiques auxquels ils appartiennent. La biodiversité s’entend à trois niveaux : la diversité des espèces, la diversité génétique et la diversité de l’écosystème. » (FAO, 2018, Agriculture durable et biodiversité – Des liens inextricables, p.4.)

Si l’une des premières théories scientifiques de l’origine de la diversité des espèces et de leur évolution remonte à Charles Darwin, au milieu du XIXe siècle, l’approche n’a bien longtemps été que descriptive et interprétative, et il a fallu attendre des années pour que se répandent la conscience de l’intérêt et la nécessité de préserver cette diversité. Historiquement, les sciences naturelles ont d’ailleurs longtemps négligé l’importance des interactions au sein des écosystèmes, n’étudiant leurs composantes qu’isolément. Le terme de « biodiversité », aujourd’hui largement répandu, est encore plus récent, puisqu’il a été employé pour la première fois en 1985 par le biologiste Walter Rosen. Son choix n’est pas neutre : il cherchait alors à interpeller le Congrès américain et à faire admettre l’ampleur de la destruction de la nature par l’activité humaine. Tout d’abord dénué d’ordre de grandeur, le recours au concept de biodiversité est donc, avant tout, politique. Le nécessaire et colossal travail de recherche pour quantifier et objectiver les pertes a progressivement suivi, et les résultats sont sans appel.


Notre alimentation, principale responsable de la perte de biodiversité

Parmi l’éventail des activités humaines incriminées, notre alimentation constitue le principal facteur de l’érosion de la biodiversité et une menace pour 86 % des espèces en voie de disparition. En cause ? Principalement la conversion des terres naturelles ou semi-naturelles en terres à usage agricole (y compris destinées à la production d’agrocarburants ou à l’alimentation du bétail) : en altérant les écosystèmes, celle-ci perturbe la reproduction, la croissance et la recherche de nourriture des espèces, tout en détruisant leur habitat.

Le phénomène est massif, puisque les activités humaines ont déjà transformé 70 % des terres émergées par rapport à leur état naturel. L’introduction et la dissémination d’espèces exotiques envahissantes sont également pointées du doigt, ainsi que les systèmes agricoles basés sur une utilisation intensive d’intrants externes et de ressources pour augmenter les rendements et ainsi produire davantage de nourriture à faible cout. Au niveau mondial, les monocultures de grandes surfaces, par ailleurs très gourmandes en eau, ont ainsi multiplié par cinq l’usage d’engrais dans le monde entre 1961 et 2018, et presque doublé l’usage de pesticides depuis 1990. Les conséquences environnementales sont lourdes, notamment sur l’ensemble de la biodiversité.

Standardiser la biodiversité, c’est mettre tous ses œufs dans le même panier

Les pratiques agricoles en tant que telles ne sont toutefois pas les seules responsables de l’érosion de la diversité génétique et des espèces. Les pratiques commerciales telles que la concentration de 55% du marché mondial des semences dans les mains de trois multinationales ainsi que les réglementations et législations actuelles favorisent
la standardisation de la biodiversité au détriment des systèmes de cultures diversifiés. Or, cette standardisation de la sélection végétale et animale est dommageable pour les fermes, puisqu’elle les rend plus vulnérables aux aléas et met à mal leur résilience, tant face au marché qu’aux changements climatiques.

Ainsi, alors qu’historiquement, plus de 7000 sortes de cultures étaient utilisées pour l’alimentation humaine, l’origine des calories quotidiennes moyennes actuellement consommées dans le monde est de moins en moins variée. Désormais, 48 % des calories moyennes consommées ne reposent plus que sur 3 espèces cultivées (blé, riz et maïs). On observe ainsi un effet retour du déclin de la biodiversité sur l’agriculture, mais aussi sur la qualité de l’alimentation, puisque la diminution du nombre d’espèces et de variétés entraîne une standardisation des nutriments disponibles, et donc une perte de qualité nutritionnelle. Par exemple, lorsqu’un consommateur ou une consommatrice supprime une variété de riz de son menu, ce sont tous les nutriments qu’elle contient qui disparaissent, avec elle, de son alimentation.

Cette standardisation touche également l’élevage, puisque 31% des protéines animales moyennes consommées ne proviennent plus que de 5 espèces différentes (bovidés, moutons, chèvres, porcs et poulets).

Une reconfiguration impérative du système

L’impact de notre alimentation sur l’érosion de la biodiversité a atteint une telle ampleur qu’un effet domino fatal pour toutes les espèces vivantes sur notre planète est désormais à craindre. Aussi, comme l’a récemment invoqué le panel d’experts (HLPE) qui appuie le Conseil de Sécurité Alimentaire de la FAO, il est désormais impératif d’engager une reconfiguration radicale de l’ensemble des systèmes agricoles et alimentaires, dans une optique à la fois de conservation et de régénération de cette biodiversité. Parmi les leviers de cette reconfiguration, on cite le plus souvent la nécessité d’une diminution globale de la consommation de viande, la création de zones protégées pour le maintien ou la restauration des écosystèmes naturels, mais également le changement global de pratiques
agricoles. Ces trois leviers interagissent entre eux, puisque les choix alimentaires des consommatrices et des consommateurs influent nécessairement sur l’offre, donc sur la pression à l’affectation des sols à la production de nourriture (l’élevage occupant, à lui
seul, 78% des terres agricoles au niveau mondial (1), mais aussi sur le type d’agriculture qui permettra de rencontrer ces choix.

L’agroécologie : le changement radical attendu

Parmi les types d’agriculture visant à préserver la biodiversité, on peut bien sûr citer toutes les pratiques qui visent une meilleure efficience par la réduction des intrants de synthèse (dont l’impact négatif commence dès leur production, génératrice d’émissions de gaz à effet de serre), en faveur des ressources renouvelables locales (travail, lumière, connaissances partagées, recyclage des nutriments, etc.) et de l’amélioration de la santé des sols (grâce, par exemple, à la rotation des cultures ou à la réduction des pertes de carbone liées aux pratiques conventionnelles). Si ce sont là les trois premiers principes de l’agroécologie (2), l’approche agroécologique ne se réduit cependant pas à ces pratiques, puisqu’elle vise également à maintenir la biodiversité globale des agroécosystèmes à tous les niveaux (3) (en recourant, par exemple, aux insectes pollinisateurs ou à des variétés locales adaptées), en favorisant les interactions positives entre les éléments qui composent ces derniers (que l’on pense à l’association des cultures, entre elles et avec l’élevage, aux techniques de paillage et d’agroforesterie pour maintenir l’humidité du sol et le protéger des ravageurs ou du soleil).

Si l’agroécologie articule bel et bien ces différents principes, on aurait toutefois tort de la réduire à un catalogue de techniques innovantes parmi d’autres. A la fois science et ensemble de pratiques, elle se fait également mouvement social, en ce qu’elle vise la responsabilité sociale pour les communautés, par une attention à la gouvernance des terres et ressources naturelles, à la participation des producteurs, productrices, consommateurs et consommatrices à la prise de décisions ou encore à l’équité des moyens d’existence, en particulier pour les agriculteurs et agricultrices de petites surfaces. Forte de ces trois dimensions, l’agroécologie constitue ainsi une approche systémique à part entière, adressant non seulement les enjeux environnementaux en tant que tels, dont la biodiversité fait partie, mais également les dimensions politiques, sociales et culturelles des systèmes alimentaires, ainsi que les interdépendances entre ces derniers et les défis sanitaires, agricoles et humains, ouvrant donc la voie aux déclinaisons les plus adaptées et pertinentes
localement.

Préserver la biodiversité au Burkina Faso

Au Burkina Faso, la régénération naturelle assistée (RNA) est l’une des pratiques agroécologiques proposées dans les programmes d’Iles de Paix. Avec cette approche, les familles paysannes identifient, protègent et entretiennent des petites plantes afin de
reboiser les terres. Par exemple, certains pieds d’arbres sont identifiés car compatibles avec les cultures. Ils ne sont alors pas défrichés et sont mêmes protégés en raison de leur bienfaits pour la biodiversité.

Bernard Bagre, agriculteur dans le village de Kontaga, raconte : « J’ai bénéficié de formations, de voyages d’échanges et de visites commentées m’ayant permis d’améliorer mes connaissances en la matière. » Le taux d’adoption de cette pratique est très élevé, car la technique est aisée par rapport à la plantation et ses avantages sont nombreux : conservation de la biodiversité en épargnant les espèces endogènes ; réduction de l’érosion des sols par le vent et la pluie ; disponibilité de ressources fourragères pour l’alimentation du bétail, de bois d’énergie et d’œuvre, ainsi que de ressources alimentaires et de matière pour la médecine traditionnelle.

En améliorant et en maintenant la fertilité et l’humidité des terres, mais aussi en fournissant des abris aux arthropodes, oiseaux et reptiles, les conditions de vie de la faune et de la microfaune du sol s’améliorent également, comme Bernard a pu le constater :

« Il y a une présence accrue de la vie aérienne composée d’oiseaux, d’insectes et de reptiles et d’une vie sous le sol (insectes, larves, champignons et vers) qu’il n’était pas donné d’observer auparavant. »


Une COP dédiée

Le saviez-vous ? Si la « Conférence des Parties » (COP) sur les changements climatiques est aujourd’hui la plus connue, le Sommet de la Terre organisé à Rio en 1992 n’a, en réalité, pas débouché sur l’adoption d’une seule mais de trois Conventions de Rio ! On oublie bien souvent la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification et la Convention sur la diversité biologique. Cette dernière nous intéresse tout particulièrement ici pour ses objectifs principaux de conservation et d’utilisation durable de la biodiversité, ainsi que de partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques. Mais les trois sont complémentaires. Ce sont des textes fondamentaux pour la protection de l’environnement au niveau mondial, tant par leurs thématiques que par leur influence, à la fois sur les politiques des États et sur les orientations budgétaires des institutions internationales qui financent les solutions de développement.

On comprend dès lors aisément les enjeux qu’il y aurait à y faire reconnaître l’agroécologie comme un modèle transformateur désirable et scientifiquement validé. Or, les principes de l’agroécologie ne sont encore que timidement mentionnés dans les

Conventions de Rio, probablement parce que le concept ne peut se résumer à un modèle réplicable, ou que l’historique du terme même, porté à l’origine par des mouvements sociaux et paysans, le rend subversif, donc clivant, alors même que l’objectif des COP est d’avancer ensemble sur des consensus… mais aussi parce que la reconnaissance de la responsabilité des systèmes alimentaires dans l’érosion de la biodiversité n’est pas encore pleinement partagée non plus. Il reste donc un long chemin à parcourir avant que l’agroécologie soit communément admise et promue comme un ensemble cohérent de principes destinés à guider la nécessaire transformation des systèmes alimentaires.

Il s’agira dès lors de rester attentives et attentifs, cet automne, à la réunion successive des trois COP, à commencer, justement, par la COP Biodiversité…

Plus d’infos : le CARI, Humundi et Iles de Paix ont mené un travail conjoint de recherche et d’analyse pour faire le point sur la place de l’agroécologie dans les trois Conventions de Rio et en tirer des pistes de réflexion pour sa meilleure intégration dans les textes. À découvrir ici

1 Ce qui inclut les pâtures et cultures réservées à l’alimentation du bétail.
2 Tels que définis par le High Level Panel of Experts (HLPE), groupe d’experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition, organe des Nations Unies en charge de l’évaluation de la science liée à ces questions au niveau mondial.
3 A savoir, donc : la diversité des espèces, la diversité génétique et la diversité de l’écosystème.

Ce dossier est tiré du numéro 144 du magazine Transitions.

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