Source: Lecho.be
Par: Esmeralada de Belgique, activiste de l'environnement
Les peuples indigènes du Brésil voient leur environnement disparaître sous leurs yeux. En important des ressources issues du déboisement de terres protégées, la Belgique s'en rend complice.
"Nous sommes les victimes d’un génocide institutionnel", a lancé Sonia Guajajara, femme politique et présidente de l’Articulation des Peuples Indigènes du Brésil lors d’un webinar organisé par l’association Cura Da Terra. "Pour le gouvernement, nous n’existons pas. Tout ce qui compte, ce sont nos terres."
Les événements semblent lui donner raison. Le président Bolsonaro n’a jamais caché son peu d’intérêt pour les territoires indigènes protégés qui sont, selon lui, une entrave au développement économique. Quant au vice-président, il a déclaré récemment que les autochtones n’avaient pas besoin d’accès à l’eau potable puisqu’ils pouvaient boire celle des rivières alors que les cours d’eau sont fortement contaminés par le mercure utilisé pour l’orpaillage…
Deux crises dramatiques
Les indigènes sont en ce moment confrontés à deux crises dramatiques: la première est sanitaire. Comme le souligne l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), le Covid-19 est particulièrement virulent à l’égard de ces populations vulnérables aux infections extérieures, elles ne disposent pas de structures hospitalières et de médicaments et sont souvent victimes de discrimination.
Réminiscence des épidémies du passé qui décimèrent les communautés dans le sillage des colonisateurs et des compagnies multinationales, le virus est maintenant implanté en Amazonie avec le taux de mortalité par habitant le plus élevé de tout le pays.
La seconde crise est environnementale avec la recrudescence des violations des droits de ces communautés. Profitant de la distraction des instances internationales, toutes accaparées par la pandémie, les assauts des exploitants agricoles, forestiers et miniers se sont accélérés et trouvent justification dans les discours du président Bolsonaro qui prône la préemption des terres indigènes à des fins économiques.
En outre, ces milliers de travailleurs qui pénètrent dans la forêt amazonienne disséminent l’infection parmi les villages. Près de 18.000 cas ont déjà été recensés avec plus de 570 morts.
Appels au secours
Je reçois de nombreux messages d’appels au secours de communautés désemparées qui manquent de tout comme les Mehinako à travers son chef Tamalui que je connais depuis des années et qui, enfant, avait rencontré mon père en 1967 lors de l’une de ses expéditions. "Nous perdons nos anciens et avec eux notre mémoire", se lamente l’activiste Celia Xakriaba. Même le vénéré cacique Raoni a vu mourir celle qui fut sa compagne durant plus de 40 ans. "On veut coloniser nos territoires, mais aussi nos esprits", ajoute-t-elle évoquant le regain d’ardeur des missionnaires évangélistes voulant à tout prix atteindre les tribus isolées. À tel point qu’un juge brésilien a dû provisoirement leur interdire cet accès pour cause de pandémie…
L’Amazonie est en feu. À nouveau. Comme en 2019. Le mois dernier, les incendies ont augmenté de près de 20% au regard de la même période il y a un an, qui connut un record avec un million d’hectares brûlés. Alors que le président brésilien a décrété une interdiction des feux pour quatre mois — un coup publicitaire selon les ONG environnementales — on voit se multiplier les foyers illégaux, allumés par des fermiers et des entreprises qui colonisent les terres protégées et déboisent pour l’élevage de bétail ou de la culture du soja.
Des images aériennes captées par Greenpeace dévoilent l’étendue des incendies. La Nasa s’inquiète et proclame que le poumon vert du monde s’assèche. Le climatologue brésilien Carlos Nobre lui fait écho et avertit que nous sommes proches du point de basculement qui verra la forêt se muer en savane. Une catastrophe inestimable pour cet extraordinaire réservoir de biodiversité avec ses 40.000 essences de plantes, 2,5 millions d’espèces d’insectes ou encore 500 de mammifères, et qui est aussi un puits de carbone et un régulateur du climat.
Responsabilité européenne accablante
Quelle est notre responsabilité en tant qu’Européens dans ce véritable cataclysme environnemental? Elle est accablante et résulte du fait que l’Union européenne (UE) consomme d’énormes quantités de soja et de bœuf importés du Brésil. Or, cette déforestation illégale et la violation des droits des tribus autochtones sont des conséquences irréfutables de cette consommation. Une étude récente de 12 chercheurs internationaux publiée dans le journal Science révèle que 2% des propriétés en Amazonie et dans le Cerrado sont responsables de 62% de toute la déforestation potentiellement illégale. 20% du soja et 17% du bœuf exportés vers l’UE en seraient issus.
La Belgique, selon une étude du WWF Belgique, aurait quant à elle une empreinte terrestre de 949.000 hectares au Brésil pour répondre à nos besoins de soja, bœuf, bois et papier. "Si les importations de soja brésilien vers l’UE ont fortement diminué grâce au moratoire imposé en 2006, il faut cependant considérer les dégâts occasionnés dans le passé, remarque Béatrice Wedeux du WWF. Nous exhortons la Communauté européenne à exercer un rôle de leader, à adopter des règlements financiers plus stricts et à renforcer la responsabilité des chaînes d’approvisionnement pour enrayer la déforestation, la mutation d’écosystèmes et les atteintes aux droits humains."
Pressions internationales
Fin juin, des fonds d’investissements étrangers et plusieurs multinationales ont fait pression sur le gouvernement brésilien afin qu’il prenne des mesures concrètes dans ce sens. On espère que ces voix auront plus d’impact que les appels des chefs d’État étrangers dont le discours jugé colonialiste est rejeté par Bolsonaro.
À l’heure où doit se ratifier le Mercosur, ce gigantesque accord commercial entre l’UE et le Brésil, qui paraît de plus en plus contradictoire avec une relance verte "post-Covid" et plutôt dicté par les lobbies de l’agrobusiness, il est urgent que tous les acteurs économiques européens, entreprises, banques et commerçants, mais aussi nous les consommateurs, prenions nos responsabilités pour couper court à la déforestation, préserver la biodiversité de l’Amazonie et faire respecter les droits des populations qui vivent en parfaite harmonie avec la Nature dont elles sont les meilleures garantes depuis des siècles et dépendent de ses ressources pour leur nourriture, leurs médicaments et leur culture.