Date: 11 février 2019
Source: Leconomiste.com
Par: Faiçal FAQUIHI
A plus de 70 ans, Mohamed Kimia se présente à la barre pour être interrogé par la Cour d’appel pénale de Casablanca jeudi 7 février. Le septuagénaire à la barbe d’une blancheur immaculée a des allures de père Noël en cet hiver 2019. Il doit s’expliquer sur l’obscure vente d’une villa de 560 m2 au quartier Oasis. Mohamed Kimia a pu conclure l’affaire en se faisant passer pour le vrai propriétaire du bien. Il s’est appuyé sur plusieurs documents pour commettre son forfait.
Le premier étant un «acte de vente» non notarié par lequel l’intéressé avance que son père, Mohammed Ben Driss Kimia, a acquis en 1969 la propriété de son oncle. Le second document est un acte de succession dont le mis en cause s’en servira pour se prévaloir de son statut d’héritier de la villa. La troisième pièce est une procuration censée lui donner les pouvoirs pour agir au nom des autres prétendus héritiers. La villa sera vendue l’été 2011 à un médecin du nom de Zaidi Boumedienne pour «3 millions de DH».
Par quel miracle les vrais propriétaires vont découvrir le pot aux roses? Intrigué, l’un de leurs proches, banquier de profession, les informe sur la vente conclue par leur vieux cousin. Cet employé de banque a vu passer entre ses mains les pièces par lesquelles l’acquéreur va obtenir un crédit immobilier de 1,4 million de DH auprès de la Société Générale.
Asâad Faiçal Kimia n’en revient pas! La villa Chafia l’a vu naître, grandir, se marier et devenir père de deux enfants. La propriété familiale a été édifiée sur un terrain nu acquis en 1955. La victime porte plainte en accusant son cousin de l’avoir dépouillé de son bien.
C’est ainsi que démarre la seconde partie de ce feuilleton. La police judiciaire d’Anfa enquête. Ses limiers épluchent les pièces ayant servi à la transaction immobilière et à son enregistrement à la Conservation foncière d’Anfa. Cet établissement public était dirigé à l’époque par le conservateur Abderrahim Amal, actuellement poursuivi en justice.
Le supposé acte de vente conclu entre les frères Kimia en 1969 va s’avérer un faux, selon une expertise judiciaire. Ce document falsifié va permettre pourtant d’établir une copie collationnée devant notaire. En principe, ce type de copie est censée avoir une valeur juridique similaire à l’original puisque authentifié.
Le notaire se prévaut devant la justice de «sa bonne foi». Laârbi Mouktafi est actuellement poursuivi pour «avoir constaté comme vrais des faits qu’il savait faux», selon le rapport du juge d’instruction (voir ci-dessous). L’accusation se base sur les articles 353 et 359 du code pénal.
La fameuse procuration dont se prévaut Mohamed Kimia est également mise en cause. D’abord parce que le mandat donné par sa sœur ne porte sur aucun droit de vendre. Ensuite, parce que la mandante, Fatima Kimia, a annulé son acte en octobre 2002, soit 9 ans avant que son frère ne s’en sert pour spolier la villa Chafia.
La victime va faire valoir un autre document devant le juge d’instruction. Le père de Faiçal Kimia est décédé en 1974. L’oncle paternel, Mohammed Ben Driss Kimia, faisait alors partie des témoins figurant sur l’acte d’hérédité. Il est pourtant présumé avoir acquis le bien avant la mort de son frère. Pourquoi l’oncle de Faiçal Kimia n’a-t-il jamais contesté la succession du bien, et ce jusqu’à sa disparition en 1991?
La 3e partie de cette affaire va se conclure par une condamnation. Le vieux cousin a écopé, le 20 juin 2018, de dix ans de prison ferme et doit payer un million de DH de dédommagement. La Cour d’appel de Casablanca a décidé également «la destruction du faux acte et sa radiation de la Conservation foncière».
Pourquoi donc le condamné revient-il à la barre? C’est la 4e partie de ce feuilleton judiciaire. Mohammed Kimia a été en effet convoqué, le 7 février 2019, pour éclairer la justice sur certains faits comme le prix de vente. Il n’est pas un témoin puisqu’il a été déjà reconnu coupable. En fait, l’affaire Kimia a donné lieu à deux procès. C’est d’ailleurs l’une de ces particularités dont notre justice a le secret! Un premier procès contre le vendeur déjà condamné à la prison ferme.
Un second procès est toujours en cours et dans lequel le notaire, l’acquéreur et le conservateur foncier sont poursuivis pour faux et usage de faux. C’est la 4e partie de ce feuilleton judiciaire qui se joue à la Chambre criminelle de Casablanca. Les trois accusés plaident tous la «bonne foi».
Faux et usage de faux: Le trio «gagnant»!
Un notaire, un médecin acquéreur d’une villa et un conservateur ont été condamnés une première fois à des peines de prison. Fonctionnaire depuis 1984, Abderrahim Amal a eu droit à dix ans de prison ferme. Son parcours a été marqué par la direction de la plus grande Conservation foncière du Royaume, celle de Hay Mohammadi-Aïn Sebaâ. C’était du temps où L’Economiste a révélé cette affaire de spoliation foncière (cf. édition n°5109 du 19 septembre 2017). Contrairement aux deux autres accusés, le conservateur comparaît en état de liberté. Ce fait est très rare dans la pratique judiciaire et dans ce type de procès. Cela mérite d’être souligné.
Toutes les personnes citées ont comparu jeudi dernier à Casablanca devant le président de la Cour, Sghir Boutarfa. Si le sort judiciaire du vendeur a été scellé, celui des autres acteurs du procès Kimia ne l’est pas encore définitivement. Le notaire, Laârbi Mouktafi, le médecin acquéreur, Zaidi Boumedienne, et le conservateur plaident la «bonne foi». Encore faut-il se mettre d’accord devant la justice sur deux points au moins.
Le premier étant le prix réel de la vente qui va de 3 à 4,5 puis 6 millions de DH, selon les déclarations contradictoires des accusés. Le plus cocasse dans cette histoire est que la famille du prétendu propriétaire, Mohamed Kimia, a eu droit à un redressement fiscal. Or l’une de ses sœurs affirme à la justice n’avoir jamais mandaté son frère à conclure une vente.
Autre fait intriguant, la copie collationnée d’un «acte de vente» disparaît de la Conservation foncière d’Anfa. Le haut fonctionnaire a été amené à s’expliquer sur les «conditions obscures» de cette disparition. Elle n’a jamais était résolue à ce jour. L’acte qui s’est «volatilisé» a été remplacé par un autre.
Ses auteurs se trompent de date en y apposant le 23 août 2012 au lieu du 23 août 2011. De plus, la date du jour mentionné est celle d’un dimanche. Jour de repos hebdomadaire dans les établissements publics. Le conservateur est tenu aussi de s’expliquer sur un transfert de propriété basé sur un mandat caduc.
Outre les accusés, le nom d’un avocat revient à plusieurs reprises lors de l’instruction de cette affaire. Abdelmjid Ennajeh écarte les allégations selon lesquelles il a été «intermédiaire» dans la transaction immobilière. Il fait valoir plutôt son rôle d’avocat «ayant levé les saisies conservatoires dont l’a chargé l’acquéreur» de la villa Chafia.
Le nom de l’avocat revient avec insistance. La Cour souhaite l’entendre à son tour. Il devra en principe se présenter à la barre le 21 février. Le bâtonnier de Casablanca est informé.