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News & Events La résistance paysanne à l’accaparement des terres et le processus de la réforme foncière au Sénégal
La résistance paysanne à l’accaparement des terres et le processus de la réforme foncière au Sénégal
La résistance paysanne à l’accaparement des terres et le processus de la réforme foncière au Sénégal
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Date: 29 juillet 2019

Source: FarmlandgrabENDA Pronat

 

Depuis 2012, les organisations de la société civile sénégalaise se battent aux côtés des paysans pour une réforme foncière inclusive. L’objectif est de sécuriser les droits d’accès et d’utilisation du foncier par les communautés rurales. Des propositions de réforme formulées par la population avec l’appui de la société civile ont été intégrées dans le document de politique foncière qui a été remis en 2017 au Président Macky Sall par la CNRF. Depuis, les choses n’ont pas beaucoup évolué – jusqu’à la venue d’une délégation de la Banque mondiale en mai 2019. Celle-ci disposait d’un plan prévoyant une privatisation complète des droits fonciers ignorant les propositions des communautés locales.

Ce n’est qu’en avril de cette année qu’un succès historique a été noté dans la lutte contre l’accaparement des terres au Sénégal : un décret de mars 2017, qui avait attribué au groupe marocain Afri-Partners 10 000 hectares à Dodel pour un projet de riziculture, a été annulé par la cours supême. Déjà en novembre 2018, le Président Macky Sall avait retiré son décret en raison de la résistance massive de la population locale. Le projet aurait empêché l’accès à la terre pour quelque 36 000 agriculteurs, éleveurs et pêcheurs et mis en péril leurs moyens de subsistance.

Après l’élection de Sall en 2012, la question de la réforme foncière avait été inscrite sur l’agenda politique. L’exode rural et l’urbanisation, les dégâts causés par le changement climatique et le déclin des terres arables ont changé les conditions d’accès et d’utilisation des terres. Une mise à jour de la loi foncière existante était devenue nécessaire. La Loi sur le Domaine national (LDN), qui existe depuis 1964, n’a pas été modifiée jusqu’à présent et devrait être adaptée au contexte actuel, en particulier pour sécuriser les droits fonciers des communautés rurales. À part les terres qui appartiennent à l’État ou aux privés, une troisième catégorie définit les autres terres comme celles du « domaine national » qui appartiennent donc à l’ensemble de la nation et peuvent être utilisées à condition d’être valorisées (toutefois cette « mise en valeur » n’est pas précisée par la loi). 95% des terres dans le pays sont définies par conséquent comme « domaine national » et ces terres ne peuvent être vendues, louées ou données à des personnes non-résidentes. Cependant, cette particularité du droit foncier sénégalais est de plus en plus érodée par l’État pour effectuer des transactions foncières à grande échelle sans informer et consulter les populations par avance bien que cela enfreint l’article 25 de la Constitution sénégalaise, qui été récemment réformée en 2016, et l’article 21 de la Charte de Banjul, « la Charte Africaine des Droits de l’Homme » ratifiée par le Sénégal. Les deux articles garantissent le droit à la souveraineté des peuples sur leurs ressources.

Accaparement des terres et contournement des lois foncières

Depuis 2008, la crise économique et financière mondiale a entraîné une ruée au niveau international vers les terres fertiles. C’est dans ce contexte qu’au Sénégal, les zones déclarées comme domaine national sont de plus en plus « occupées » par des investisseurs privés. L’indemnisation correspondante prévue selon l’article 21(2) de la Charte de Banjul est inappropriée ou ne s’effectue même pas. Pour contourner la LDN, les représentants de la communauté locale souffrent de pressions ou sont exclus de la prise des décisions. Dans certains cas, l’État change le statut d’un terrain par décret afin de le classifier comme propriété de l’État pour ensuite pouvoir le louer ou le vendre à des investisseurs étrangers. Cela constitue non seulement une violation de la loi foncière, qui oblige l’État de garantir l’utilité publique d’un projet pour pouvoir prendre les terres occupées de manière coutumière par les populations, mais également une violation de l’article 21(5) de la Charte de Banjul. Cet article oblige l’État à empêcher l’exploitation économique de la population par les investisseurs internationaux.

En 2013, cela concernait 840 000 hectares, soit 16% de la superficie agricole du Sénégal selon une étude de la COPAGEN. Les mobilisations de la société civile et des communautés locales ont toutefois eu pour conséquence qu’en 2018 environ la moitié des projets prévus avaient été annulés ou réalisés à une échelle plus petite. Cependant, les terres n’ont été pas intégralement restituées aux municipalités dans tous les cas : contrairement au cas de la société marocaine Afri Partners à Dodel, seulement la moitié des 20 000 hectares occupés à Ndiael par la société Senhuile-Senethanol, appartenant au groupe italien Tampieri Financial, ont été restitués à la population alors même que toutes les activités de la société étaient déjà suspendues depuis 2017 sur cet espace. La société prévoyait de cultiver sur ces terres, utilisées par 37 villages, des patates douces et de graines de tournesols pour la production d’agrocarburants destinés au marché européen.

Initiatives pour la souveraineté des populations sur leurs ressources naturelles

Pour lancer le processus de réforme foncière, la Commission Nationale de Réforme Foncière (CNRF) a été créée par le Président de la République en 2012. En même temps, la documentation des cas d’accaparement de terres et la mobilisation contre ce phénomène ont conduit à la création du Cadre de Réflexion et d’Action sur le Foncier au Sénégal (CRAFS), une alliance entre des organisations paysannes, des scientifiques et des ONG comme Enda Pronat. Dans le cadre d’un processus participatif et inclusif, le CRAFS a organisé une série d’ateliers avec les populations rurales dans tout le pays afin de discuter sur les questions clés en matière de droit foncier. Au cours de ce processus, les communautés locales se sont organisées pour mettre en place des plateformes de veille pour défendre leurs droits et pour se mobiliser en cas d’accaparements des terres. Par la suite, le CRAFS, en collaboration avec des scientifiques, a organisé des jeux de planification participative afin d’élaborer des propositions sur la réforme foncière avec les paysans. Le résultat de ces consultations inclusives était bien clair : la population rurale plaide pour le maintien du domaine national, c’est-à-dire, pour la gestion des ressources foncières au bénéfice des communautés. En plus, cette gestion doit être accompagnée d’une politique qui garantit l’assistance technique et financière pour le développement des exploitations familiales.

Le CRAFS a ensuite présenté les propositions paysannes dans le cadre du dialogue politique avec la CNRF et ainsi les propositions ont été menées de la base jusqu’au plus haut niveau institutionnel. La commission a intégré la plupart de ces recommandations, notamment la préservation du domaine national, dans son document final sur la politique foncière. Ce document a été présenté au Président de la République en avril 2017 en présence de la société civile, et la décision finale est encore attendue. Par la suite, la CNRF a été dissoute, et la mise en œuvre de la réforme est toujours en cours.

Promouvoir le développement rural intégré au lieu de l’investissement étranger

Tandis que la population continuait de se mobiliser contre l’accaparement des terres dans diverses régions du pays, le gouvernement a discrètement adopté un décret qui porte sur l’établissement des zones économiques spéciales (ZES) afin de pouvoir attirer plus d’investisseurs étrangers. La société civile l’a appris par hasard et développe depuis un argumentaire de plaidoyer pour prévenir les éventuelles dérives et préserver les droits des populations. Entre temps la vente aux investisseurs chinois a déjà commencé dans le parc industriel de Diamniadio près de Dakar. D’autres ZES sont déjà en cours de construction et plusieurs communautés doivent être déplacées. Derrière cette conduite politique il y la pression internationale renforcée par un document de politique de la Banque mondiale. Une délégation de Washington a effectué une mission dans le pays en mai pour lancer un nouveau projet visant à établir un cadastre rural pour privatiser les droits fonciers. En général, la mise en place d’un cadastre rural n’est pas défavorable si tous les acteurs y ont accès en tant qu’élément de planification au niveau municipal. Cependant, si un tel cadastre est utilisé pour la privatisation des droits fonciers, et la vente des terres aux plus offrants, les paysans en sortiront forcément perdant face aux agroindustriels et cela entraînerait des risques d’incidences négatives sur les droits de l’Homme et irait à l’encontre des principes intégrés dans la Charte de Banjul. Le soutien public et international des investisseurs étrangers et le nouveau projet de la Banque Mondiale contrarient les efforts des organisations paysannes et de la société civile pour garantir la souveraineté alimentaire à long terme. Ces derniers essayent d’aider les communautés à reprendre le contrôle sur leurs ressources foncières et à développer une alternative à l’agriculture industrielle à travers la mise en place des pratiques agricoles durables. Les agriculteurs ont montré, avec le soutien de la société civile, qu’ils étaient capables d’augmenter leur production grâce aux pratiques agro-écologiques, à condition que la prise de décision et la gestion sur les ressources naturelles (terres, eaux, semences) leur soient garanties. Ce n’est que dans ce sens que la lutte contre les crises alimentaires, la faim et le changement climatique – en particulier dans les zones rurales – peut être menée de façon efficace. Enda Pronat est membre fondateur du CRAFS et s’y implique pour une formulation de politiques et de droits fonciers qui sécurisent les sociétés paysannes dans leur diversité́ et qui tiennent compte des générations futures.

Traduction à base d’un article publié par Enda Pronat dans l’édition actuelle du magazine « FoodFirst » de l’organisation internationale FIAN (Food First Information and Action Network) qui consacre son travail à la lutte pour la réalisation du droit à l’alimentation.  La version originale en allemand est disponible à travers les liens suivants :https://www.fian.de/fileadmin/user_upload/bilder_allgemein/Publikationen/FF_Magazin/FF_2019/FF_2019-2_Web_pdf-Leseprobe_Seiten-14-15.pdf

https://wfd.de/thema/landgrabbing
 

Original source: ENDA Pronat