Date: 11 aout 2016
Source: Journal du Mali
Par Moussa Magassa
Le problème du foncier au Mali est une bombe à retardement. C’est ce que disent tous les experts de la question et ce depuis des années. En 2008, l’État a entrepris une réforme totale du foncier, en vue d’en améliorer la gestion et de revoir les textes, dont l’application pose beaucoup de difficultés. Un secrétariat permanent, créé en mars 2016, a cinq ans pour conduire sa mission qui est de refonder les rapports entre les populations et l’administration, et de sécuriser la gestion du foncier. Il y a en effet urgence…
Ouena, commune rurale de Dioro, cercle de Ségou. Fin juillet 2016, deux familles se déchirent autour d’un lopin de terre arable et la querelle dégénère en un affrontement sanglant qui conduit plusieurs personnes à l’hôpital avec des blessures graves. Le bilan aurait pu être pire, on ne compte plus le nombre de conflits fonciers qui finissent en carnages. Dans les zones rurales, éleveurs et agriculteurs mais aussi agriculteurs entre eux, ou agriculteurs et citadins, sont constamment opposés sur les questions liées à la terre. Et les grandes villes, y compris le district de Bamako, ne font pas exception. Dans les zones urbaines, la mauvaise gestion du cadastre imputée aux élus locaux engendre généralement des litiges entre autorités et populations. « Plus de dix personnes peuvent se trouver généralement devant la justice avec la même lettre d’attribution pour une même parcelle de terre », témoigne Madou Doumbia, agent immobilier à Baco Djioroni, au sud-est de Bamako. Détournements de terrains et d’espaces alloués aux activités de jeunesse, expropriation illégale, démolition de quartiers, acquisition de fausses lettres d’attribution, batailles juridiques autour d’héritages fonciers, sont entres autres les ingrédients du cocktail explosif de la problématique du foncier au Mali.
Pourtant, le « secteur est régulé », assure-t-on au niveau du ministère des Domaines de l’État, des Affaires foncières et du Patrimoine. Tout en reconnaissant que les textes (loi n°02-008-ANRM du 12 février 2002, relative au Code domanial et foncier) en vigueur ne sont plus adaptés aux réalités actuelles. Les acteurs en charge de la gestion du foncier sont confrontés à de nombreuses difficultés telles que l’incompréhension et la difficulté d’application des dispositions de la loi, l’absence d’outils pour la modernisation du secteur, etc. Au Mali, la terre appartient à l’État comme le stipule l’article 2 de la loi. C’est-à-dire que l’État est l’unique propriétaire du domaine public et privé (meuble et immeuble). Il a donc le droit d’expulser un particulier toutes les fois que cela s’avère nécessaire. « C’est le cas des expulsions pour cause d’utilité publique », argumente Abdoulaye Maïga, avocat. Des prérogatives qui se heurtent très souvent à la loi coutumière dans les zones rurales.
Réforme domaniale et foncière
Entre 2007 et 2008, le gouvernement organisait les assises régionales sur le foncier. Elles ont abouti un an plus tard, en 2009, à la grande rencontre des acteurs, lors des États généraux du foncier, qui ont vivement encouragé le gouvernement à aller vers une réforme effective. Il aura fallu attendre le 25 mars dernier pour qu’un décret pris par le Premier ministre institue réellement la mise en place du cadre intentionnel de cette réforme tant attendue : le secrétariat permanent de la réforme domaniale et foncière au Mali. Il comprend trois niveaux de structuration : le comité d’orientation, le comité technique et de pilotage, et le secrétariat permanent qui est l’organe exécutif. On rappelle que l’objectif de cette réforme est de refonder les rapports sociaux entre les populations elles-mêmes et les relations entre propriétaires de terre et l’administration. « Pour cela, il faudra sécuriser la gestion du foncier, mettre la terre au centre du développement du pays, proposer une solution d’amélioration dans la collecte des recettes foncières au niveau des collectivités, et réformer l’administration foncière », commente le colonel Checkine Dieffaga, secrétaire permanent de la réforme. Huit groupes sectoriels, composés de 187 membres issus de toutes les organisations socio-professionnelles forment le comité scientifique, qui se penchera sur les thématiques de la réforme. Chaque groupe sectoriel est chargé de réfléchir sur une thématique précise afin de dégager les problèmes et proposer des solutions. Le groupe sectoriel chargé du cadre juridique et de la relecture des textes se charge actuellement de relire les lois qui régissent le foncier, notamment la loi de février 2002. « Un premier draft est attendu à la fin de ce mois », précise Dieffaga. Le mercredi 3 août 2016 s’est tenue la première réunion du groupe sectoriel. Selon le secrétaire permanent, deux recommandations ont été prises : adopter les textes de base pour l’assemblage et la numérisation du plan cadastral pour les communes de Bamako et les communes limitrophes, et faire un inventaire des systèmes de codification existant au niveau de l’Institut national de statistique. Avec un financement d’environ 30 milliards de francs CFA, dont 10 milliards par le Mali et 20 milliards par les partenaires, le secrétariat permanent doit, dans un délai de cinq ans, 2016-2021, tout mettre en œuvre pour atteindre les objectifs fixés.
Quid du cadastre ?
Grâce à l’approche participative initiée par le secrétariat permanent à travers les groupes sectoriels, l’un des axes forts de la réforme est la mise en place du cadastre. Le cadastre est un état des lieux, une description de la gestion foncière, explique Monsieur Dieffaga. Sa mise en œuvre se fera en deux grandes étapes : élaborer un plan cadastral pour chaque commune du Mali et mettre en place une couverture cadastrale de l’ensemble du territoire malien. On rappelle que le cadastre a trois missions principales : techniques, juridiques et fiscales. Cette dernière est, selon le secrétaire permanent, la plus importante car elle permet la mise en place d’« une taxe foncière sur chaque propriété ». Bien qu’il vienne d’ouvrir ses bureaux, le secrétariat permanent se dit optimiste. « La réforme a le soutien de l’ensemble des membres du gouvernement, et notamment celui du président de la République qui souhaite que la gestion du foncier soit désormais transparente. Nous comptons satisfaire ce souhait à la fin de notre mandat », explique-t-il.
Pour mettre un terme à la recrudescence actuelle des conflits liés à la terre, il apparait urgent de rendre effective la réforme, mais surtout d’en partager les grandes lignes avec les acteurs. La suspension de l’attribution des titres de propriété qui avait pour but de mettre un terme à la spéculation foncière ne saurait perdurer, et la mise en œuvre des actions prévues dans le cadre de la meilleure gestion du cadastre de Bamako, en particulier, mais aussi des autres grandes villes du pays, est aujourd’hui une priorité. Les outils d’enregistrement (cadastre, plans fonciers ruraux, etc.) qui seront mis en œuvre par la réforme pourront certainement contribuer à lutter efficacement contre la spéculation foncière, l’insécurité domaniale, et l’accaparement des terres, principales causes des litiges intercommunautaires.