Nouvelle Constitution ivoirienne : « Un Burkinabè se trouvant en Côte d’Ivoire ne peut plus payer un champ ou un terrain rural », Pr Abdoulaye Soma, constitutionnaliste
Date: 27 janvier 2017
Source: Le Faso.net
Par Yvette Zongo
« Seuls l’Etat, les collectivités publiques et les personnes physiques ivoiriennes peuvent accéder à la propriété foncière rurale. Les droits acquis sont garantis », stipule l’article 12 de la nouvelle Constitution ivoirienne adoptée le dimanche 30 octobre 2016 par 93,42 % des voix des quel 6,3 millions inscrits. L’adoption de cette Constitution n’a pas laissé indifférents les Burkinabè, surtout ceux vivant dans ce pays. En effet, ils sont plus de 3, 4 millions à vivre en Côte d’Ivoire et la majorité d’entre eux, tirent leur pitance quotidienne de l’exploitation des terres rurales. Du coup, la disposition sus-mentionnée suscite des inquiétudes. Nous avons rencontré le président de la Société burkinabè de droit constitutionnel (SBDC), Pr Abdoulaye Soma, agrégé des facultés de droit et avocat à la Cour. Dans cet entretien qu’il nous a accordé, l’enseignant de droit à l’Université Ouaga II nous situe sur les implications de cette disposition qui intéresse à plus d’un titre les Burkinabè.
Lefaso.net : Pr Soma, l’article 12 de la nouvelle Constitution ivoirienne stipule que : « Seuls l’Etat, les collectivités publiques et les personnes physiques ivoiriennes peuvent accéder à la propriété foncière rurale. Les droits acquis sont garantis ». En termes profanes, qu’est- ce que cela veut dire ?
Pr Soma : En vertu de cet article, seulement les institutions ivoiriennes et les personnes physiques de nationalité ivoirienne peuvent accéder à la propriété foncière rurale. Cette disposition de la nouvelle constitution fixe les conditions d’exercice du droit de propriété en Côte d’Ivoire. C’est dire qu’à partir de son entrée en vigueur, pour avoir une propriété foncière rurale pour des causes rurales, il faut être de nationalité ivoirienne. Ceux qui peuvent disposer de ladite propriété sont entre autres, l’Etat, les collectivités publiques que sont les communes et les régions. Cela signifie que les personnes privées ne peuvent plus avoir la propriété foncière rurale en Côte d’Ivoire que sous réserve d’être de nationalité ivoirienne. Ce qui veut dire qu’un Burkinabè se trouvant en Côte d’Ivoire ne peut plus payer un champ ou un terrain rural. Mais si ce Burkinabè a déjà un champ ou un terrain rural et qu’il a un titre de propriété, l’Etat ne va pas lui retirer son titre foncier puisque l’article dit que les droits acquis sont garantis par celui-ci. Depuis l’entrée en vigueur de la Constitution en octobre 2016, aucune personne de nationalité burkinabè ou étrangère ne peut plus avoir une propriété foncière rurale en Côte d’Ivoire.
Lefaso.net : Pouvons-nous assister à une perversion (déviation) de l’article ?
Pr Soma : Comme les conditions sont précises, on ne peut pas assister à une perversion de cet article mais là où il peut y avoir des difficultés, c’est au niveau des droits acquis parce qu’ils supposent que le terrain rural ait été acquis avant l’entrée en vigueur de la constitution. Cela signifie que sur ce terrain, l’on ait acquis les droits de propriété officielle, c’est-à-dire qu’il faut avoir un titre de propriété officiel. Il se trouve que les ressortissants étrangers, en particulier les Burkinabè exploitent les terres depuis des années sans titre de propriété, sans pouvoir montrer un document qui prouve qu’ils sont propriétaires de ces terres. Dans ces types de situations, il peut y avoir des problèmes parce que ces personnes vont se sentir historiquement liées au terrain, déterminées et bénéficier d’une certaine légitimité de possession de ce terrain, mais elles ne jouissent pas de légalité. Si la personne veut régulariser la situation après coup, l’article de la constitution s’oppose à l’acquisition de nouveaux titres de propriété foncière sur des terrains qui ne sont pas encore appropriés juridiquement.
Lefaso.net : Pouvons-nous assister à une dépossession des terres par l’Etat ?
Pr Soma : Comme les personnes ne peuvent plus établir de nouveaux titres fonciers sur des parcelles, donc celui qui exploitait les terres sur lesquelles il n’a pas pris le soin d’établir les titres fonciers, ces terres ne peuvent plus lui appartenir sauf si la personne est ivoirienne. Si par hypothèse cette personne est burkinabè, l’Etat a le droit de lui retirer ses terres et les revendre à une autre personne ou de reprendre simplement en main étatique.
Lefaso.net : Quels sont les risques encourus par des personnes qui ont acheté directement les terres avec les autochtones et qui n’ont pas de titre foncier ?
Pr Soma : Des personnes qui ont acheté directement les terres avec les autochtones ne sont pas propriétaires. Même si elles ont en leur possession des reçus d’achat, cela ne suffit pas pour dire que l’on est propriétaire. Il faut que celles-ci aient suivi la procédure pour avoir le titre foncier, c’est-à-dire le titre de propriété. Par exemple sur les parcelles en ville, il y a le papillon d’attribution qui n’est pas le titre de propriété, mais ce papillon montre que vous avez le droit d’établir un titre de propriété après le PUH ou le permis d’exploitation. Toutefois si vous ne l’avez pas établi, vous n’êtes pas propriétaire. De même, si vous voulez construire sur un terrain que vous avez acheté, le permis de construction que vous avez reçu n’est pas un titre de propriété. C’est à partir du titre foncier que l’on a le droit de propriété sur un terrain acheté. A cet effet, les Burkinabè qui ont acheté les terrains avec les autochtones et les ont exploités pendant dix ans ou plus de vingt ans, s’ils n’ont pas pris le soin d’établir un titre de propriété, ils tombent sous le coup de cette disposition suivant laquelle ils ne peuvent plus établir, ni revendiquer le titre de propriété. En ce moment, l’Etat peut les déposséder ou réclamer la propriété sur ces terrains. L’autre problème renvoie au fait que les personnes qui sont allées en Côte d’Ivoire n’ont pas connaissance de ces textes. Pour elles, à partir du moment où le chef du village leur a donné l’autorisation, elles se sentent légitimes. Effectivement elles sont légitimes, mais la légitimité ici ne suffit pas parce qu’on est en droit et en droit constitutionnel, il faut la légalité pour être en règle vis-à-vis de la loi.
Lefaso.net : Existe-t-il une disposition que l’Etat burkinabé peut envisager pour protéger ses ressortissants, vu les enjeux liés à l’article ?
Pr Soma : Au cas où ce problème survient, l’Etat burkinabé ne peut que le résoudre par voie diplomatique, vu qu’il y a beaucoup de personnes étrangères en particulier les Burkinabè qui ont investi en Côte d’Ivoire. Il faut dire que ces personnes ont d’abord payé de l’argent à des Ivoiriens, en l’occurrence les chefs traditionnels, avant de commencer l’exploitation de ces terres. Celles-ci les ont mis en valeur pendant plusieurs années. Il y aurait injustice à l’esprit humain de les en déposséder. Au vu de la situation, l’Etat ivoirien peut éventuellement faire un moratoire, en disant :« la constitution dit cela, mais on laisse à chacun cinq ou dix ans pour régulariser et établir le titre de propriété, avant de passer à l’application dur de l’article de la constitution ». C’est peut-être ce que l’Etat burkinabè devrait pouvoir négocier avec la Côte d’ivoire. Il est clair que si l’on veut appliquer la disposition telle qu’elle est aujourd’hui, il y aura catastrophe. Plusieurs étrangers, y compris les Burkinabè seront dépossédés de leurs champs de façon légale, puisque c’est fondé sur la constitution ivoirienne, mais de façon illégitime, parce qu’il y aura une sorte d’injustice à cause de ce que ces personnes ont investi, de l’énergie et de l’argent dans la mise en valeur de ces terres.
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