Environnement : Faut-il culpabiliser de manger des avocats ?
- La consommation d’avocats a crû en 2022, notamment en Europe où le fruit tropical a la cote depuis une quinzaine d’années.
- Faut-il s’en inquiéter ? La culture de l’avocat n’a pas toujours bonne presse, notamment sur le volet environnemental. Au Mexique, son expansion se fait en partie sur les forêts locales de pins.
- Sans nier ces limites, Eric Imbert, économiste au Cirad, invite à ne pas noircir le tableau. Question empreinte carbone et empreinte en eau, l’avocat n’a pas à rougir d’autres productions alimentaires.
Avec du sel et un peu de citron, en salade ou en guacamole, en soupe ou en cocktail… « Vous, les Européens, vous consommez l’avocat de multiples façons », pointe Zach Bard, président de l’Organisation mondiale de l’avocat (WAO). Depuis une quinzaine d’années, l’avocat cartonne sur le Vieux Continent, surfant sur ses qualités nutritionnelles de « superaliment ».
Plus d’un tiers des importations mondiales en prennent aujourd’hui la direction. « 770.000 tonnes y ont été consommées en 2021, on devrait dépasser les 800.000 en 2022 », précise Eric Imbert, économiste au Cirad, centre de recherche agronomique français. Avec 2,2 kilos engloutis par an et par habitant, les Français n’y sont pas pour rien. C’est moins que les Danois ou les Norvégiens, d’accord. Mais, en volume importé, nous sommes bien en tête.
Une consommation mondiale partie pour doubler ?
Ce boom de l’avocat est « sans égal dans l’univers des fruits et légumes », note Eric Imbert. Et ce n’est probablement qu’un début. « En Asie, on en découvre tout juste ses vertus », assure Zach Bard qui s’attend à ce que la consommation mondiale double dans les dix ans.
La question, c’est à quel prix ? L’avocat a souvent défrayé la chronique pour les impacts environnementaux et sociétaux que sa culture implique, notamment dans son bastion historique : l’État mexicain du Michoacan. En trente ans, les plantations sont passées de 31.000 à 118.000 hectares. Malgré des règles strictes, cette expansion se fait, en partie, au détriment des forêts de pins, riches en biodiversité, au milieu desquelles les agriculteurs plantent clandestinement des avocatiers, racontait Le Monde en 2016. L’« or vert », comme le surnomment les Mexicains, attise aussi les convoitises des narcotrafiquants qui rackettent les producteurs et tentent d’imposer leur loi sur le marché.
Au Chili, où les hectares consacrés à l’avocat ont été multipliés par dix depuis 1961, la culture est accusée d’être à l’origine des graves sécheresses qui sévissent dans la province de Petorca, au centre du pays. Même critique dans le sud de l’Espagne, l’un des premiers pays du pourtour méditerranéen à s’être lancés dans la culture de l’avocat. Le biologiste Rafaël Yus, de l’ONG espagnole Ecologiste en action, tire régulièrement la sonnette d’alarme sur les niveaux très bas de la réserve d’eau de la Vinuela, près de Malaga, à cause notamment de l’irrigation de fruits tropicaux.
Stimuler l’économie locale
Eric Imbert ne nie pas ces dérives. « Malheureusement, il y en a dès qu’une culture se développe, mais il n’est pas juste de résumer l’avocat à cela. ». L’économiste du Cirad nuance le tableau. « A la différence de bien d’autres fruits, l'avocat est encore aujourd’hui aux mains de petits et moyens producteurs et non d’industriels. Que ce soit au Mexique, en Espagne, au Maroc, au Kenya… » C’est aussi un point que met en avant la WAO pour montrer que le boom de l’avocat a permis de stimuler l’emploi et réduire la pauvreté dans les communautés rurales des pays producteurs.
Quant aux impacts environnementaux, là encore, il ne faudrait pas tout voir en noir. « Ou du moins, mettre les choses en perspective », invite Eric Imbert. A commencer par la question du transport. Certes, plus d’un tiers des avocats consommés en Europe proviennent du Pérou. Mais selon Blaise Desbordes, directeur général du label de commerce équitable Max Havelaar France, « cette étape compte assez peu dans l’empreinte carbone totale des productions alimentaires, notamment lorsqu’elles sont acheminées par bateaux ». En 2020, Our world in data, une publication scientifique spécialisée sur les enjeux du développement mondial, exhortait les consommateurs à se concentrer sur le choix des aliments plus que sur leur provenance pour baisser l' empreinte carbone de leur alimentation.
Une empreinte carbone et en eau à son avantage ?
Ainsi, du champ à l’assiette, un kilo d’avocats émettrait un peu plus de 2 kiloséquivalents CO2, assure-t-on au WAO en s’appuyant sur une vaste étude publiée dans la revue Science, en 2018. Cette empreinte est de 60 kilos pour un kilo de bœuf, 19 pour le chocolat ou encore 17 pour le café, selon cette même étude.
Quant à la consommation d’eau, là encore, les comparaisons sont à l’avantage de l’avocat. La référence, cette fois-ci, est le « water footprint », un indice mis au point par des chercheurs néerlandais en 2011. Selon leurs calculs, il faudrait 1.200 litres d’eau pour produire un kilo d’avocats. C’est plus que les pommes (822) ou les bananes (660). « Mais bien moins qu’un kilo de bœuf, de café ou de chocolat, tous au-dessus des 15.000 litres », embraye Zach Bard. Le Sud-Africain rappelle, en outre, que ces calculs datent de 2011. « Depuis, l’irrigation au goutte-à-goutte et les outils numériques se sont largement développés et ont permis de réduire nettement ces consommations », assure-t-il.
Propice à l’agroforesterie ?
Dans certaines zones de production humides – Kenya, Colombie, Mexique…– l’apport d’eau irriguée nécessaire par kilo d’avocats peut descendre en dessous de 10 litres », précise la WAO. En revanche, dans celles plus sèches – Espagne, Chili, Israël…–, les quantités d’eau à apporter restent importantes. Jusqu’à un maximum de 1.250 litres par kilo d’avocats, concède l’organisation.
Mais l’avocat a d’autres atouts. « C’est un fruit solide, avec une peau épaisse qui le protège bien des maladies, explique-t-il. Il nécessite peu de pesticides. » Les avocats poussent par ailleurs sur des arbres pérennes, qui captent chaque année leur part de CO2 dans l’atmosphère. « Les avocatiers se prêtent aussi très bien à l’agroforesterie », ajoute encore Zach Bard. Ce mode d’exploitation, souvent présenté comme une réponse au changement climatique, consiste à associer sur une même terre, des arbres à des cultures plus basses, voire de l’élevage, chaque production apportant des bienfaits à l’autre et permettant aux agriculteurs d’augmenter leurs revenus.
Une marge de progression sur le commerce équitable ?
Blaise Desbordes, directeur général Max Havelaar France, voit tout de même un domaine dans lequel l'avocat peut encore progresser: le commerce équitable. Seize organisations produisent à ce jour des avocats aux conditions du label Fair/Trade Max Havelaar. Celle, notamment, d’assurer une juste rémunération des producteurs. « Cela reste embryonnaire, reprend Blaise Desbordes. Rien à voir avec le café, le chocolat ou la banane. »
Pourtant, l’enjeu est colossal. « Quand des fruits produits au sud deviennent très consommés au nord, il y a très vite cette tentation des intermédiaires de pressuriser les producteurs, reprend-il. Cela n’aide pas à aller vers des pratiques plus respectueuses de l’environnement, bien au contraire. » C’est sur ce point que le consommateur à un rôle à jouer, pour le DG de Max Havelaar : « Il y a quelques années, la grande distribution a compris que ses clients voulaient de la banane commerce équitable et s’est mise à en proposer largement ».
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