Népal. Les populations autochtones sont les victimes silencieuses de la belle réussite en matière de préservation de la nature
Les populations autochtones au Népal subissent depuis les 50 dernières années une longue série de violations des droits humains du fait de politiques de préservation violentes, déclarent Amnesty International et le Community Self-Reliance Centre (Centre d’autonomie communautaire, CSRC) dans un nouveau rapport publié le 9 août 2021.
Ce rapport intitulé Violations in the name of conservation explique que la mise en place de parcs nationaux et autres « zones protégées » s’est traduite par l’expulsion de dizaines de milliers de membres des populations autochtones de leurs terres ancestrales et la privation de l’accès à des zones indispensables à leur subsistance. S’appuyant sur les exemples des parcs nationaux de Chitwan et Bardiya, ce document souligne que la mise en œuvre de ces politiques a fréquemment donné lieu à des cas d’arrestation arbitraire, de torture, d’homicides illégaux et d’expulsions forcées des campements informels.
Le Népal est fréquemment cité en exemple pour sa belle réussite en matière de préservation de la nature. Hélas, ce sont les populations autochtones du pays qui en paient le prix fort.
Dinushika Dissanayake, directrice régionale adjointe pour l’Asie du Sud à Amnesty International
« Le Népal est fréquemment cité en exemple pour sa belle réussite en matière de préservation de la nature. Hélas, ce sont les populations autochtones du pays qui en paient le prix fort, car elles vivaient dans ces zones protégées qui assuraient leur subsistance depuis des générations, a déclaré Dinushika Dissanayake, directrice régionale adjointe pour l’Asie du Sud à Amnesty International.
« À partir des années 1970, les gouvernements du Népal ont adopté une approche de la préservation de la nature qui a contraint les peuples autochtones à quitter leurs terres ancestrales et a fortement limité leur accès à l’alimentation traditionnelle, aux plantes médicinales et autres ressources. L’application musclée de ces politiques a donné lieu à de nombreux cas de torture et de mauvais traitements, et à des homicides illégaux. »
Expulsions forcées
Les parcs nationaux et autres « zones protégées » couvrent près d’un quart de la surface du Népal, la vaste majorité étant situés sur les terres ancestrales des populations autochtones. Des décennies après leur création, de nombreux membres de ces populations qui ont été expulsés demeurent privés de terres et risquent de nouveau d’être expulsés des campements informels où ils se sont installés. Ils n’ont pas d’autres moyens de subsistance et n’ont pas été indemnisés pour les pertes subies.
Amnesty International et le Centre d’autonomie communautaire ont recensé plusieurs cas récents d’expulsions forcées et de tentatives d’expulsions forcées par les autorités des parcs nationaux, notamment à Chitwan et Bardiya. Le 18 juillet 2020, les autorités du Parc national de Chitwan ont expulsé de force 10 familles de la communauté des Chepangs, qui avaient été déplacées en raison des inondations et des glissements de terrain, et vivaient dans une zone tampon – une zone désignée pour permettre aux habitant·e·s d’avoir accès aux ressources de la forêt – située en dehors de la limite du parc.
Amnesty International et le Centre d’autonomie communautaire ont découvert que les autorités du parc avaient informé les familles oralement une semaine seulement avant l’expulsion, en violation des normes internationales et des dispositions inscrites dans la nouvelle Loi sur le logement du Népal. Le ministère des Forêts et de l’Environnement a mené une enquête officielle sur cette expulsion plus tard dans le mois, mais malgré des demandes répétées, les deux organisations n’ont pas pu obtenir d’informations sur les conclusions de ces investigations.
Dans le Parc national de Bardiya, certains autochtones continuent de s’acquitter du malpot, un impôt sur les revenus fonciers, alors qu’ils n’ont plus accès à leurs terres depuis des décennies. En effet, après des inondations et un changement du cours du fleuve, leurs terres sont considérées comme faisant partie du parc national. Ils ont déclaré qu’ils paient le malpot dans l’espoir de pouvoir un jour retourner sur leurs terres et parce que les reçus sont nécessaires pour demander des indemnisations pour les pertes de récoltes.
Accès à la nourriture et aux ressources
La loi sur les parcs nationaux et la préservation de la faune et de la flore sauvages de 1973 demeure la clé de voûte qui régit les « zones protégées ». Elle restreint la chasse, la pâture, l’abattage d’arbres, la culture des terres ou l’utilisation de la forêt, et interdit toute construction dans un parc national ou une réserve sauvage : ces mesures ont très fortement impacté et bouleversé le mode de vie des autochtones.
À l’exception des personnes vivant dans les zones tampons qui ont accès aux forêts liées à ces zones, les autochtones qui se sont réinstallés en dehors de ces zones n’ont pas le droit de se rendre dans les parcs nationaux : déjà privés d’accès à leurs maisons, à leurs terres et aux ressources de la forêt, ils doivent se débrouiller par eux-mêmes, ce qui entraîne des frais qu’ils ont bien du mal à couvrir et se traduit souvent par une insécurité alimentaire et des difficultés en termes de santé et de logement.
Du fait de l’absence d’autres moyens de subsistance, des difficultés financières et de l’incapacité à faire vivre leur famille, de nombreux autochtones expulsés de leurs terres n’ont d’autre choix que de devenir métayers (bataiya) et de cultiver les terres de propriétaires en échange de 50 % des récoltes.
Le système de bataiya, régi par des normes sociales plus que juridiques, a de graves répercussions en termes de droits humains. Les habitant·e·s interrogés dans les districts de Banke et Bardiya ont signalé qu’ils sont fréquemment exploités par les propriétaires, qui leur font faire des tâches ménagères ou récolter du fourrage et du bois de chauffage sans les payer.
Arrestations et détentions arbitraires, torture et mauvais traitements, et usage excessif de la force
Des autochtones sont fréquemment arrêtés et placés en détention parce qu’ils sont entrés dans les parcs nationaux et les réserves. Beaucoup subissent des mauvais traitements, voire de la torture, aux mains des militaires déployés dans les parcs, et certains en sont morts. C’est le cas de Raj Kumar Chepang, 26 ans, qui est décédé après avoir été frappé par des soldats à Chitwan en juillet 2020.
Depuis près d’un demi-siècle, les gouvernements manquent à leurs obligations envers les peuples autochtones au Népal, alors que la Constitution leur impose de respecter leurs droits.
Jagat Basnet, directeur exécutif du CSRC
Au Népal, le cadre législatif ne définit pas clairement les pouvoirs de l’armée et ne les restreint pas en matière d’arrestation et de détention et d’usage de la force dans les parcs nationaux et autres « zones protégées ». D’après une étude menée récemment dans la zone tampon de Chitwan, le rôle de l’armée du Népal dans la préservation de la nature ne cesse de s’amplifier, les parcs nationaux étant de plus en plus militarisés.
« Depuis près d’un demi-siècle, les gouvernements manquent à leurs obligations envers les peuples autochtones au Népal, alors que la Constitution leur impose de respecter leurs droits. Afin de réparer cette injustice, les autorités doivent reconnaître le droit des peuples autochtones à disposer de leurs terres ancestrales et leur permettre d’y retourner, a déclaré Jagat Basnet, directeur exécutif du CSRC.
« Cette mesure doit s’accompagner de modifications législatives garantissant le droit des peuples autochtones à participer pleinement à la gestion des zones de préservation de la nature et d’un processus participatif ouvert à tous afin de s’entendre sur une juste indemnisation pour les préjudices infligés par les autorités népalaises. »
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