Quand les mercenaires russes de Wagner déboisent la forêt centrafricaine
Une entreprise, liée aux mercenaires russes de Wagner, a mis la main depuis février 2021 sur une immense parcelle de forêt en Centrafrique. Ils ne paient pas de taxes, sont en lien avec le pouvoir. Libre à eux d’exploiter le bois presque comme ils l’entendent. Enquête autour d’une nouvelle activité liée au groupe Wagner.
Fin 2019, la République Centrafricaine (RCA) révoque le permis d’exploitation d’une parcelle de 187’000 hectares de forêt – soit la superficie des cantons du Jura et de Neuchâtel réunis – attribuée aux Industries forestières de Batalimo (IFB). Dix-huit mois plus tard et après un appel d’offres, une nouvelle société, connue sous le nom de Bois Rouge Sarlu, récupère ce permis dans la province de Lobaye au sud-ouest du pays.
Fin 2019, la République Centrafricaine (RCA) révoque le permis d’exploitation d’une parcelle de 187’000 hectares de forêt – soit la superficie des cantons du Jura et de Neuchâtel réunis – attribuée aux Industries forestières de Batalimo (IFB). Dix-huit mois plus tard et après un appel d’offres, une nouvelle société, connue sous le nom de Bois Rouge Sarlu, récupère ce permis dans la province de Lobaye au sud-ouest du pays.
Derrière la société se cache en réalité un ensemble de personnes et de structures proches de la galaxie Wagner. Après des mines, le contrôle partiel des douanes et d’autres missions, le groupe de mercenaires se retrouve pour la première fois en mesure de contrôler une grande parcelle de forêt. C’est ce que révèle l’enquête de l’European Investigative Collaborations (EIC) dont la RTS est membre. Enquête réalisée en partenariat avec OpenFacto, une association spécialisée en sources ouvertes.
Du bleu-blanc-rouge au blanc-bleu-rouge
Dans la capitale, Bangui, « influence étrangère » a longtemps rimé avec France. La présence de l’ancien colonisateur est tenace: avenue de France, rues du Poitou et du Languedoc, lycée français Charles-De-Gaulle, stations-service Total.
Depuis quelques années, si les couleurs sont restées les mêmes, l’ordre et le sens ont changé. La population ne vibre plus au « bleu-blanc-rouge », de larges panneaux vantent la coopération russo-centrafricaine. Un centre culturel russe a ouvert, où sont dispensés des cours de langues gratuits. La boisson à la mode est une vodka du nom de Wa na wa, supposée donner à ses consommateurs « les secrets du pouvoir russe » et une « santé sibérienne ». Moscou offre blindés, trampolines et cahiers pour enfants, sponsorise radios et concours de beauté.
Les premiers mercenaires, ou conseillers comme ils aiment se faire appeler, sont officiellement arrivés à Bangui début 2018, un peu plus d’un an après le retrait des troupes de l’opération française Sangaris. Il s’agissait pour Wagner alors de former et d’accompagner sur le terrain les militaires centrafricains, aux prises avec des groupes armés irréguliers. Quatre ans plus tard, les contractuels russes ont des statues et des films à leur gloire.
La présence de Wagner sur le continent africain (au Mali, en Libye, au Soudan ou au Mozambique) est largement documentée, comme les exactions dont certains de ces mercenaires se sont rendus coupables. Des rapports d’ONG, d’agences et de groupes d’experts onusiens ainsi que des enquêtes journalistiques en font état.
Ces violations des droits humains ont conduit l’Union européenne à mettre en place, en décembre 2021, des sanctions visant directement Wagner et ses dirigeants. Sanctions que la Suisse a partiellement reprises en bloquant les têtes connues comme l’oligarque Evgueni Prigojine, ou Dimitri Outkine, un des principaux commandants. Ce qui reste plus trouble, ce sont les accords industriels et financiers signés entre les sociétés de la galaxie Wagner et les États où le groupe intervient.
Bois Rouge: une société russe plutôt que centrafricaine
La République centrafricaine est un pays riche de ses forêts. L’année dernière, le bois était le principal bien d’exportation du pays, loin devant les diamants. Il est exploité par seulement une douzaine d’entreprises, selon un rapport de la FAO, l’agence de l’ONU en charge de l’agriculture.
Les autorités centrafricaines, dépendantes de Wagner pour assurer leur sécurité, ont bradé une partie de leurs ressources naturelles en autorisant désormais Bois Rouge à exploiter la forêt de manière intensive, quasiment sans payer d’impôts, et parfois au mépris de la loi. Malgré ce traitement de faveur, Bois Rouge n’a pas respecté tous ses engagements vis-à-vis de l’État centrafricain.
Début 2021, la forêt, riche de gorilles, léopards et éléphants, passe donc sous le contrôle de Bois Rouge. L’entreprise se décrivait sur son site internet, mystérieusement fermé cette année, comme « l’une des plus grandes entreprises africaines de bois ».
Bois Rouge se présente comme une société 100% centrafricaine. Elle est, de fait, immatriculée au registre du commerce depuis mars 2019 et dirigée par une ressortissante du pays. Il s’agit en réalité d’un paravent des intérêts russes en Centrafrique. « Tout le monde sait qu’il s’agit d’une société fabriquée de toutes pièces par les Russes », confie un acteur du secteur. Plusieurs éléments matériels viennent l’étayer.
En octobre 2019, sept mois après sa création à Bangui, Bois Rouge est présente à un forum d’industriels du bois à Shanghai. La société figure sous le même nom et à la même adresse que ceux renseignés au registre du commerce centrafricain, mais elle est classée parmi les participants russes. C’est un responsable des ventes russe qui représente la compagnie. Et l’une des deux adresses électroniques de contact de l’entreprise est hébergée par un service de messagerie russe.
Les liens de Bois Rouge avec la Russie se confirment par les activités sur le terrain. Des photos datées de novembre 2021 prises dans la concession, que l’EIC et OpenFacto ont obtenues, montrent plusieurs hommes blancs aux côtés d’employés centrafricains, ainsi que des camions et des boîtes de médicaments de marque russe et une porte sur laquelle « centre médical » est écrit en cyrillique.
Sur les traces de Wagner
Wagner n’est qu’une « marque »: aucune entreprise ne porte officiellement ce nom. Derrière Wagner, il y a en réalité une galaxie de sociétés contrôlées par Evgueni Prigojine, liées aux activités du groupe de mercenaires, mais qui se sont diversifiées au fil du temps. L’oligarque est déjà présent en RCA via plusieurs entreprises, dont Lobaye Invest et M-Finans, sous sanctions américaines depuis septembre 2020.
Le premier élément reliant Bois Rouge à Wagner est chronologique: l’attribution de la concession dans la préfecture de la Lobaye coïncide avec l’arrivée des mercenaires russes dans la région. Le gouvernement centrafricain attribue l’ancienne parcelle d’IFB à Bois Rouge le 9 février 2021, soit seulement quinze jours après la reprise de Boda, la principale ville de la région, par l’armée centrafricaine et les hommes de Wagner.
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