En dépit des avancées du cadre réglementaire et législatif, dans de nombreuses localités du Bénin, les femmes n’ont toujours pas un accès facile à la terre. Les coutumes et d’autres réalités sociales creusent encore les inégalités.
Elisabeth A. ferme ses 50 ans sans un lopin de terre à son compte. « Je n’ai pas les moyens de me payer une parcelle. Mais, au moins, j’aurais pu hériter de ce que mes feus parents m’ont laissé », commence-t-elle à narrer. Originaire de Agbangnizoun, une commune située à plus de 100 km de Cotonou, dans le département du Zou, elle nous étale ses regrets cet après-midi du 6 septembre 2020. « Des terres, mes parents en ont assez. Nous sommes 11 enfants de notre père dont 5 femmes. Aucune d’entre nous n’a hérité de la terre. L’aîné s’est interposé. Ce n’était d’ailleurs pas facile entre eux de s’entendre pour répartir les terres. Nous autres n’avons pas cette force d’aller au tribunal pour éviter d’être mal vues. Au cours de nombreuses réunions, entre 2006 et 2010, nous sommes souvent revenus exprès sur le sujet sans avoir eu gain de cause. Au décès de notre mère, les terres de cette dernière nous ont aussi échappé », se désole Elisabeth A.
Pourtant, se revendique-t-elle, ce sont elles qui se sont le plus occupées de leurs géniteurs au soir de leur vie. « On nous a toujours jeté au visage que les femmes n’héritent pas de la terre. Mais quand il s’est agi de prendre soin de notre père au soir de sa vie, c’est nous les femmes qui nous relayions. C’est nous qui utilisions nos pauvres ressources pour faire face aux dépenses. On ne peut le réclamer à qui que ce soit, parce que ce sont nos parents. Mais ça fait mal quand on vient vous servir tout cru que les femmes n’héritent pas de la terre, selon la coutume », martèle Elisabeth A.
Cependant, elle et ses sœurs sont loin d’être les seules victimes du droit coutumier béninois qui écarte, par endroit, les femmes de la succession. Elles sont des milliers à se résoudre à vivre ces inégalités,
Au nom de la tradition…
A Kandi, dans le département de l’Alibori, à 630 km de Cotonou, cette discrimination se vit en silence. « En tant que chef service ici à Kandi, je n’ai pas encore eu connaissance d’un cas. Je suis convaincu que ça existe mais le poids de la tradition ont fait qu’elles n’arrivent pas à extérioriser leurs frustrations. Traditionnellement, elles-mêmes se disent qu’elles n’ont pas trop d’intérêts pour ça et que ça ne servirait qu’à leurs maris. Alors que leurs frères en ont besoin. Quand bien même elles auraient accès, ce ne serait pas à part égale pour conserver le noyau familial », affirme Bachirou Guèguèrè, chef service affaire domaniale de la mairie de Kandi, qui s’appuie sur la religion musulmane.
Pourtant, le mal existe et persiste au nom de la tradition. Françoise Sossou Agbaholou, Coordonnatrice nationale de Wildaf-Bénin, un réseau de défense des droits de la femme, reste préoccupée. « Aux préjugés sociaux et culturels, il faut ajouter la méconnaissance des textes juridiques, le taux d’analphabétisme très élevé chez les femmes surtout celles vivant en milieu rural. Il y a aussi le statut des femmes dans nos cultures et les obstacles liés à la tradition, de même que la pauvreté qui est essentiellement féminine », fulmine-t-elle.
Dans une publication en date de 1956, intitulée ‘’Société paysanne et problèmes fonciers de la palmeraie dahoméenne. Etude sociologique et cadastrale’’, Claude Tardits crevait déjà l’abcès : « Dans le sud du Bénin, les droits fonciers reposent sur la filiation. La terre est un bien masculin. Sa transmission, comme celle de la parenté, s’effectue uniquement en ligne masculine. Les femmes sont donc exclues de l’héritage foncier et ne peuvent transmettre aucun droit sur la terre à leurs enfants (filles ou garçons) ».
Six décennies plus tard, les réalités n’ont pas autant changé dans bien de localités. Et ce, malgré les évolutions juridiques et institutionnels intervenues en matière foncière au Bénin. « Elles ont accès à la terre juste en tant qu’usufruitière. C’est à dire qu’elles ont la possibilité d’en exploiter sans en être propriétaires. Donc ce principe séculaire est resté ancré dans les mentalités au sein de nos communautés », déplore Françoise Sossou Agbaholou.
Accéder à la terre nourricière, un autre combat
Il ne suffit pas d’hériter d’une terre. Dans les localités rurales, accéder à un lopin de terre est aussi un moyen de subsistance. Sauf que là encore, les inégalités sont grandes. Une étude menée cette année à Ouidah, Ouinhi, Athiémé, Savè, Djougou et Ouaké dans le cadre du Projet de Renforcement de la Résilience des Communes au sud du Bénin face aux changements climatiques, en révèle assez.
Dr Parfait Blalogoé, Directeur Exécutif de l’Ong Credel, fait le point des constats. « Les femmes ont le droit de recevoir des lopins de terre de leur mari (don) ou d’un parent (prêt) avec obligation de retourner la terre lorsque le parent en aura besoin. Ce qui crée une forme d’insécurité autour des ressources exploitées par les femmes. Toutes ces dispositions sont des règles muettes que ces sociétés ont construites et elles fonctionnent sur cette base. Ainsi, la femme se retrouve dans l’obligation de venir en aide au chef de ménage dans le champ familial, mais parallèlement, elle a accès à un champ de palmier où elle arrive à produire quelques cultures vivrières ». Et ce n’est pas tout.
Des exemples, Dr Parfait Blalogoé nous en fournit davantage pour montrer l’importance de créer la résilience en assurant le droit d’accès à cette ressource aux femmes. « Par exemple, dès que les palmiers arrivent à maturité, ils sont exploités par les hommes qui trouvent d’autres terres à leurs femmes pour exploitation. Cette situation frustre les femmes puisqu’elles n’arrivent pas à jouir du fruit de leurs efforts. Il existe aussi des situations où à maturité, la plantation de palmiers est vendue par l’homme, toujours au détriment de la femme qui a consacré en moyenne plus de temps pour l’entretenir », déplore-t-il.
Dans un contexte de changements climatiques, les défis sont encore plus grands, quand on sait le rôle de la femme dans le domaine de la sécurité alimentaire. « Le difficile accès des femmes aux ressources foncières pourtant indispensables pour leurs activités essentiellement agricoles, les empêche de jouer efficacement leur rôle de productrices des richesses dans le domaine de l’agriculture dans notre pays. Cette situation les maintient également dans la pauvreté et les rend davantage vulnérables », fustige Françoise Sossou Agbaholou.
Oser réclamer pour « un monde sans faim »
Selon une étude de base commanditée en 2016 par la Fondation Konrad Adenauer, dans les départements du Zou, de l’Atlantique et du Littoral, 80% des hommes héritent des terres contre 2% des femmes. C’est une tendance que cette fondation tente de changer depuis quatre ans. Au cours des campagnes de sensibilisation et de plaidoyers faites dans le cadre du Projet « un monde sans faim », des voix s’élèvent tendant à vaincre la peur. « Il y a plusieurs dizaines de femmes qui sont victimes de cette situation et qui grâce à ces interventions ont pu bénéficier de terres. Même si, il faut reconnaitre que ce n’est pas à part égale comme le souhaitent les textes », témoigne Mounirou Tchacondoh, Sociologue, Coordonnateur national au Bénin Konrad-Adenauer-Stiftung. Et pour en arriver là, un plaidoyer est fait en amont à l’endroit des élus locaux, chefs traditionnels et autres leaders des communautés. « Ceci a été possible grâce aux informations qu’elles ont reçues et aussi à leur courage de revendiquer au niveau de la famille. C’est également le fruit d’un travail en amont avec les élus locaux », ajoute-t-il.
Mounirou Tchacondoh plaide pour la simplification des procédures de sécurisation des terres, afin que les femmes puissent en bénéficier. « Les femmes étant en milieu rural, elles n’ont pas les moyens. Ainsi, quand les procédures sont compliquées, il va de soi qu’elles ne peuvent pas avoir accès aux actes. Nous sommes heureux que le Gouvernement revoie les frais des actes à la baisse. Il y a eu des procédures aussi qui ont été simplifiées. Ce qui fait qu’aujourd’hui, au moins avec l’attestation de détention coutumière, beaucoup de femmes peuvent sécuriser un tant soit peu leur portion de terre », martèle Mounirou Tchacondoh.
Dans la marche pour l’atteinte des objectifs du développement durable, les inégalités du droit d’accès à la terre et à son usage restent une préoccupation primordiale. Le code foncier domanial et le code de la famille ne constituent pas des obstacles. Françoise Sossou Agbaholou pointe du doigt ce qui lui paraît être la porte de sortie : « Seules la poursuite des actions de communication pour un changement des mentalités et l’application effective de l’arsenal juridique existant en la matière, permettront de réduire voire mettre fin à cette situation ».
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