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News & Events Pandémie : "L’urbanisation et la métropolisation généralisées sont le creuset de la crise sanitaire"
Pandémie : "L’urbanisation et la métropolisation généralisées sont le creuset de la crise sanitaire"
Pandémie : "L’urbanisation et la métropolisation généralisées sont le creuset de la crise sanitaire"
ville-foule-marianne-globe
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Par: Guillaume Faburel

Source: Marianne.net

Date: 04/02/2020

 

Ces temps de confinement sont très productifs. D’abord pour les métiers vitaux, du soin et de la livraison, parfois au péril de leur vie. Puis, dans un registre bien différent, abrité derrière les écrans, c’est le printemps des tribunes, manifestes et appels. Onze en huit jours, dont six de la gauche écologiste, tirant enseignements sur ce dont le Covid-19 serait également le nom : la destruction du vivant par le productivisme et le consumérisme. Toutefois, malgré le caractère clairvoyant de l’intention, un trouble saisit rapidement à la lecture de ces textes. Une cause de telles responsabilités n’est jamais énoncée et encore moins analysée. Pourtant, elle saute aux yeux.

LES SURDENSITÉS URBAINES SONT LES FOYERS PREMIERS DE LA PANDÉMIE

Qu’y a-t-il de commun entre Wuhan, premier foyer mondial de la pandémie, et New York, dernier en date, à 12.000 km de distance et à 3 mois d’intervalles ? Deux villes, de 11 et 9 millions d’habitants, dans des agglomérations accueillant respectivement 19 et 26 millions de personnes, dont la population a, depuis l’an 2000, crû de 30 % pour la première (devant Pékin et Shanghai) et de 15 % pour la seconde, et qui constituent pour l’une la centralité de la deuxième plus grande zone urbaine de l'intérieur de la Chine, et pour l’autre l’agglomération unique du 3ème Etat le plus peuplé des Etats-Unis. Toutes deux étant, bien évidemment, des plaques tournantes du transport, avec routes et autoroutes, aéroports internationaux et ports fluvial ou maritime du commerce mondialisé.

Plus près de nous, qu’y a-t-il de commun dans les Régions qui, avec toutes les limites de tels comptages, cumulent près de 80 % des cas officiellement recensés de coronavirus par Santé Publique France (Ile-de-France, Grand Est, Auvergne Rhône-Alpes, Hauts-de-France, Provence-Alpes-Côte-D’azur) ? Elles accueillent les aires urbaines les plus peuplées, et, plus encore, 80 % des populations cumulées des grandes villes labélisées "métropoles" par l’Etat (au nombre de 21 en France depuis 2014 puis 2017). Tout cela pour seulement 55 % de la totalité de la population française au 1er janvier 2020 selon l’INSEE.

A l’opposé, dans le Centre Val-de-Loire et les Pays de la Loire ou encore en Bretagne et en Normandie, ce sont 7 % des cas recensés, pour une part de la population nationale (20 %) bien moins urbainement concentrée puisque 5 métropoles officielles y sont présentes contre 12 dans les 5 Régions les plus urbanisées, et qu’elles sont de taille bien plus modeste (moins de 8 % de la population totale de ces aires urbaines). Tout cela qui plus est, dans des Régions très largement périphériques aux grands mouvements de la mondialisation économique.

Ainsi, les pandémies de notre époque mettent certes en lumière les implications productivistes et consuméristes de notre monde marchand globalisé. Mais, en prenant également pour cas la Lombardie en Italie, où cette engeance du capital se réalise-t-elle partout et sans discontinuer depuis des décennies ? Où les flux de cette économie intégrée et les mouvements de la contamination trouvent-ils à se concentrer, à commuter, à se disperser à une vitesse jamais égalée ? Dans les villes-mondes et dans leur surdensité urbaine, dans la modernité métropolitaine et dans sa promiscuité humaine. Y compris dans des villes qui, à en juger les données sur les grandes métropoles françaises, sont certes de moindre rang international mais qui ne jurent elles-mêmes que par la densification et l’artificialisation, au nom du modèle croissanciste et expansionniste qui guide ce jour unilatéralement le monde par son urbanisation.

Voilà en fait le foyer premier d’un virus dont le sujet noircit ces temps-ci tant de papiers. L’urbanisation généralisée du globe et sa métropolisation planétaire sont le creuset de la crise sanitaire. Tout cela sans mention véritable dans les textes et débats du moment. Il est vrai que, à n’en pas douter, la solution médicale sera doute aucun également trouvée par et dans ces phares métropolitains, grâce à la non moins grande concentration des clusters scientifiques, de l’ingénierie technique, des managers internationaux et des talents créatifs. Toutefois, pour sortir de cette roue qui alterne, tel le pharmakon de l’anthropocène, poison et remède dans le même mouvement d’une éternelle fuite en avant, d’autres éléments des tribunes du moment troublent encore plus sur le non-dit de la cause métropolitaine de la pandémie.

LA MÉTROPOLISATION DU MONDE COMME ARRACHEMENT DE NATURE

A l’exemple de celle publiée le 23 mars dans Reporterre, intitulée "Résistance climatique, c’est le moment", il s’agirait d’ouvrir une perspective de justice sociale mondiale en divisant par exemple par 6 l’empreinte carbone moyenne d’un Français. Et pour ce faire, de repenser sa manière de se déplacer et de ne plus prendre l’avion, de redécouvrir les transports doux et de rouler moins de 2.000 km/an en voiture, de développer la cuisine végétarienne et de se nourrir d’aliments biologiques, locaux et de saison (avec de la viande maximum 2 fois/mois), ou encore de réinterroger ses véritables besoins pour limiter les achats neufs au strict minimum. Cela sans, à aucun moment bien sûr, ici comme ailleurs, parler d’urbanisation généralisée et de métropolisation mondialisée de la Terre.

Pourtant, concernant les déplacements en avion, les métropoles sont partout des hubs aéroportuaires internationaux, les Airport Cities, et ce notamment pour la touristification de leur desserte. Le secteur du tourisme représentait en 2017 10 % du PIB mondial. En outre, ce sont également des espaces où les distances domicile-travail et les temps de trajet automobiles sont les plus grands pour les classes populaires et les plus précaires. Groupes sociaux qui sont ainsi lentement mais surement évincés de centres métropolitains en voie rapide de gentrification. Elles constituent les milieux "écologiques" qui offrent le moins d’autonomie et de souveraineté alimentaires, 3 jours étant la moyenne pour les 100 plus grandes agglomérations françaises. Cela par l’artificialisation généralisée des sols et par l’industrialisation des terres agricoles environnantes. Enfin, que dire de la réduction attendue des achats neufs au profit du réusage lorsque ces villes-métropoles sont le lit de la machine à désirs, qu’elles imposent au plus grand nombre la jouissance passive et interdisent par là même toute mesure et toute (auto)limitation du fait des stimulations consuméristes omniprésentes et de l’envahissement publicitaire notamment.

Et si de telles omissions avaient en fait pour cause première la responsabilité de tout un chacun, y compris des écologistes les plus convaincus ? Car la métropolisation est certes un stade tout à fait singulier, néolibéral, du capitalisme urbain mondialisé. Celui de la repolarisation d’activités économiques dites postindustrielles, de l’intégration globalisée des marchés et des logiques de firme dans les nouvelles politiques urbaines et leurs fameuses gouvernances non moins urbaines. En ce sens, il s’inscrit bien dans la continuité historique des intérêts économiques et politiques bien sentis, ceux de l’agglomération forcée des populations et la densification extrême des villes : le rendement par les surpeuplements, le gouvernement par la promiscuité (y compris par quelques atteintes aux libertés face à l’incontrôlabilité… des corps, qu’ils soient sociaux ou malades).

Mais plus encore, les métropoles sont, ce jour, surtout le siège de formes et de styles de vie au fondement de l’écocide planétaire. Ici se jouent des chaînes comportementales et davantage encore un régime passionnel éclairant d’une lumière crue à la fois les causes de la prolifération synchrone du virus (lorsque la grippe espagnole d’il y a un siècle a mis deux années pour se propager), et les transformations écologiques d’envergure qu’il conviendrait d’avoir la clairvoyance d’entrevoir dès maintenant, d’entrevoir dès maintenant, quitte à nous interroger sur nos propres pratiques sociales et nos propres croyances politiques.

DES HABITUDES DE VIE ET DES CHAÎNES COMPORTEMENTALES TOTALEMENT ÉCOCIDAIRES

La mobilité permanente et l’accélération sans fin des mouvements, le nomadisme généralisé et le divertissement ininterrompu, la connectivité continue et les consciences prétendument augmentées par les imaginaires de la mondialité… urbaine, bref tout ce à quoi nous sommes enjoints par et pour les flux, qu’ils soient de personnes, de marchandises ou du divertissement, y enchaînent toujours plus nos existences à l’unicité de l’archipel métropolitain mondialisé : flots de touristes et délocalisation industrielle, déplacements professionnels distendus et circuits longs de production et de distribution alimentaires, et, plus visible encore en cette période de confinement, les mouvements de joggers affairées, la démultiplication des livraisons ubérisées et la surchauffe des sites de téléchargement en ligne.

Voilà pour le régime passionnel métropolitain, celui du fétiche de la marchandise, de son illimitation, et de son emblème de civilisation qu’est l’intégration urbaine planétaire par l’accelération. Même le New York Times commence à se poser la question de l’adaptation de nos styles urbains de vie, c’est peu dire ("Can City Life Survive Coronavirus ?", 17 mars). On sait notamment que plusieurs pathologies préalables participent de la létalité du virus. Or, où, en proportion des populations, la malbouffe et les pollutions, le stress et la sédentarité, c’est-à-dire les quatre premières causes des dites pathologies que sont l’hypertension, les affections cardiovasculaires ou encore les cancers, sont-elles les plus répandues, en France comme ailleurs ? Dans les grandes villes sur-densifiées, dans les métropoles aux rythmes effrénés.

Par ailleurs, ce régime passionnel, celui des manières intégrées de (sur)vivre et standardisées d’être gouvernés, ne tient que par plusieurs chaînes et servitudes comportementales quasiment présentes en chacun et chacune de nous et ce en tous points du globe. Parmi ces chaînes, la plus importante est indéniablement de nous être rendus totalement dépendants des dispositifs technico-économiques, dont les premiers sont urbanistiques, pour satisfaire aux fonctions vitales de se nourrir et de tisser des liens, de se divertir… ou simplement, en ces temps tragiques, de respirer. D’ailleurs, dans la pensée dominante son temps long de la métropolisation, la mobilité nous est imposée pour notre émancipation (la productivité), le divertissement pour nos humanités (l’altérité) et la connectivité pour notre propre pouvoir (la citoyenneté). Nous avons en fait, pour la grande majorité d’entre nous, et sans doute à notre corps défendant, en fait troqué notre puissance d’agir contre les commodités et les marchandises, leurs facilités d’usage et règles d’opulence, leur imaginaires de la réalisation personnelle et dès lors notre vanité éternelle.

Nulle surprise alors à ce que nous soyons, par ces chaînes de dépendance, par la délégation généralisée aux rouages de l’économie et par la dépossession engendrée de pouvoirs d’action, très rapidement désœuvrés lorsqu’il s’agit d’arrêter de courir partout et de nous agiter en permanence. Nul étonnement à être totalement impuissants lorsqu’il s’agit de retrouver une capacité d’adaptation en cultivant l’autonomie face aux évènements. Que nous reste-t-il en fait une fois avoir consenti à ces vies métropolitaines et à leurs croyances de l’illimité par la consommation, à la frénésie du bougisme et à la fameuse interdépendance sociale et culturelle de la densité ? A quoi en fait servons-nous concrètement face au trépas écologique de nos sociétés métropolisées ? Surconsommer dans les supermarchés ? Regarder Youtube toute la journée ? Faire du sport dans une salle climatisée ? Aller au cinéma pour s’évader ?...

DÉMONDIALISER LA VILLE, DÉSURBANISER LA TERRE : NOUS SOMMES EN FAIT TOUS DES PANGOLINS

Voilà pourquoi il y a urgence à faire de la démondialisation de la ville et de la désurbanisation de la terre la priorité écologique d’un à-venir déjà là. Sans desserrer les chaînes comportementales de ce régime passionnel, la frugalité et le ralentissement vantés par des pensées pourtant bien dotées, la sobriété et le ménagement préconisés par certains groupes écologistes à hauts capitaux sociaux et culturels, ne se réaliseront hélas que de manière très étriquée, et surtout très inégalitaire.

Nous sommes en fait tous des pangolins par cette domestication généralisée et par la destruction concomitante de nos habitats écologiques pour toujours plus artificialiser les espaces et les vies. Le Covid-19, c’est la nature co-habitante qui reprend ses droits dans la niche écologique globalisée que le capitalisme a créée en nous par asservissement de la nature et ce faisant par arrachement du vivant que la métropolisation incarne jusqu’à la démesure. Et ce n’est que le début compte tenu des rythmes effrénés d’urbanisation : 58 % de la population mondiale est aujourd’hui officiellement urbaine, annoncée à 70 % en 2050 par l’ONU. "A l’échelle mondiale, seulement 25 % de la surface terrestre est proche de son état naturel. D’ici à 2050, cette proportion sera de l’ordre de 10 % si nous ne changeons pas notre approche" ("Les animaux qui nous ont infectés ne sont pas venus à nous. Nous sommes allés les chercher", Ibrahim Thiaw, ONU, 27 mars 2020).

Est-ce dès lors étonnant que, en ces temps de confinement, les urbains ont un temps cherché ardemment des jardins ou ont rejoint quelques logis éloignés pour celles et ceux qui en ont les moyens ? Est-ce si surprenant que les semences libres fassent l’objet de commandes directes croissantes et que les vidéos des permaculteurs connaissent un boom spectaculaire de téléchargements ? Dans leur métropole du Grand Paris, les Parisiens et les Parisiennes affichent anxiété non seulement vis-à-vis des dangers d’infection mais aussi des risques de pénurie alimentaire. Et, 17 % d’entre eux ont quitté la capitale ces 12 derniers jours, tout ceci non sans risque de contamination que ce soit en transportant le virus ou en véhiculant les comportements anti-écologiques décrits. Mais surtout, il serait peut-être bien de ne pas oublier les classes populaires, assignées à résidence, confinées dans l’exiguïté, interdites de nature dans les phares métropolitains de plus en plus bétonnés. Voilà qui ferrait "justice sociale mondiale" pour reprendre la tribune dans Reporterre ou "déferlante de solidarité" pour prendre celle du 21 Mars dans Mediapart (en omettant là aussi que les grandes villes en voie active de métropolisation sont devenues de simples espaces fonctionnels de la commodité et non ceux du faire communauté par la solidarité, et ne me parlez pas de la communion par les balcons, s'il vous plaît).

En fait conviendrait-il, comme solution écologique digne, de commencer par ne plus répondre aux sirènes économiques et politiques de l’entassement dans les métropoles, ainsi que dans leur réplication à toutes les grandes villes et à nombre de villes moyennes. Les espaces plus ouverts, ceux des campagnes, offrent d’autres possibilités, des manières de vivre moins rentables mais autrement plus profitables : pourvoir par soi-même à certains besoins vitaux, dont la citadinité a largement dépossédé et que le jogging et les écrans, le lèche-vitrine et les terrasses chauffées entre amis ne permettront jamais de recouvrer. Voilà, par l’écologie, l’opportunité première de cette pandémie mondialisée. Car c’est aussi du soin, celui du vivant, que de faire dissidence voire sécession, avec nous enfin pleinement dedans. Cesser d’être les agents involontaires de la méga-machine, les idiots utiles du capitalisme, en retrouvant de la puissance d’agir, celle non plus de faire masse contre mais de faire corps avec le vivant.

Les penseurs du fait urbain nous ont longtemps expliqué, non sans morgue de classe, que la grande ville était l’ouverture et l’émancipation par l’exposition de soi, et la petite le repli par la protection étriquée des siens. Il se pourrait bien que, enfin, la prétendue passion pour la grosseur se retourne, par ce drame, contre ces prétendus penseurs.