Source: Sputniknews
Date: 30/04/2020
Avec la pandémie du Covid-19, l’accès à l’eau est plus que jamais vital. En Afrique, les dirigeants devront en tirer toutes les conséquences pour l’après. Au micro de Sputnik, France, l’ex-Premier ministre guinéen Kabiné Komara, un expert reconnu de la gestion de l’eau, s’inquiète des conflits à venir en Afrique et ailleurs si rien n’est fait.
«Dans nos pays où la gestion de l’eau est plus vitale que tout, elle est mise au second plan au profit de grands projets d’infrastructures qui ont un plus fort impact électoral. Quand les barrages sont construits et les villes illuminées, alors tout le monde applaudit. Comme les canalisations sont sous terre et que personne ne les voit, on ne s’en soucie pas. Il va falloir que ces priorités soient inversées. Car on peut vivre sans électricité, mais pas sans eau», a martelé au micro de Sputnik France Kabiné Komara, ex-Premier ministre de la République de Guinée de décembre 2008 à janvier 2010.
En ces temps difficiles de pandémie du coronavirus, et alors que l’Afrique célèbre le mois saint du ramadan, ne pas pouvoir trouver de l’eau facilement, ne serait-ce que pour se laver les mains ou faire ses ablutions, peut vite tourner au drame.
Kabiné Komara, haut-commissaire de l’Organisation de la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS), également président –de 2013 à 2014– du Réseau international des Organismes de bassin, est aujourd’hui un expert africain mondialement reconnu. Invité Afrique de Sputnik France, le vendredi 24 avril, premier jour du ramadan en Guinée Conakry où il réside, il s’est réjoui de la solidarité dont font preuve ses compatriotes.
«Avec le coronavirus, l’un des gestes barrières comme se laver les mains devient compliqué. Heureusement, il y a la solidarité avec la distribution de seaux et de kits pour se laver les mains. Mais cela ne peut pas remplacer la nécessité d’avoir de l’eau potable au robinet. C’est pourquoi je suis convaincu que, dans l’après-coronavirus, la gouvernance de l’eau va changer fondamentalement. Il y aura une nouvelle priorité et tous les gouvernements africains seront jugés sur leur capacité à délivrer durablement de l’eau potable à leur population», a-t-il fait valoir.
À la direction de l’OMVS (2013-2017), une organisation intergouvernementale regroupant quatre pays riverains du fleuve Sénégal dont la Guinée, il n’avait déjà eu de cesse de tirer la sonnette d’alarme sur la nécessité de mieux gérer cette précieuse ressource.
Toutefois, malgré les décennies passées (par les Nations unies) à booster le taux d’accès à l’eau potable en Afrique, celui-ci reste très faible. Dans la plupart des grandes villes, il s’est même détérioré sous la pression de l’exode rural. Les bidonvilles ont grossi et sont devenus «des tentacules ingérables dans lesquels on n’est pas capable de délivrer de l’eau», regrette-t-il. Sans compter les investissements très lourds que ces assainissements supposent.
La Guinée, château d’eau de l’Afrique de l’Ouest
Pourtant son pays, la Guinée, en plus d’être un eldorado minier, est un vrai «scandale hydraulique».
Avec pas moins de 1.200 cours d’eau et quatre grands fleuves (Sénégal, Niger, Gambie, Casamance) qui prennent leur source en Guinée, «ce pays est considéré, à raison, comme le château d’eau de l’Afrique de l’Ouest», relève-t-il avec fierté. Non sans une «responsabilité écologique considérable», selon lui, dans la manière dont la Guinée doit gérer cette eau puisque «pas moins de 200 millions d’Africains de l’Ouest en dépendent».
«On ne manque pas d’eau en Afrique mais on manque de toutes les installations nécessaires pour l’acheminer de la source vers les usagers. C’est en cela que nous sommes très en retard. Pour rattraper ce retard, nous allons devoir repenser nos villes et aménager nos territoires de telle façon que l’eau y soit fournie en quantité suffisante afin que les activités puissent se développer et qu’il n’y ait plus de pénurie», insiste Kabiné Komara au micro de Sputnik France.
Pendant la grande sècheresse des années 1970 dans le Sahel, l’OMVS s’est reformée, sans la Guinée qui l’a rejointe plus tard, mais avec les trois pays (Mali, Mauritanie, Sénégal) qui figuraient déjà dans la première organisation sous-régionale du bassin, créée en 1968 à Labé.
Ce que l’OERS (Organisation des États riverains du Sénégal) n’a pas réussi à faire à l’époque, l’OMVS l’a réalisé à partir de 1972 pour le plus grand bénéfice des populations locales.
«À trente kilomètres de l’embouchure du fleuve Sénégal, on a construit un barrage qui a créé un petit miracle. Un demi-milliard de mètres cubes d’eau a pu être stocké pour irriguer 100.000 hectares de terre. Il a aussi permis d’alimenter en eau la ville de Nouakchott à 100% et à 50% en ce qui concerne Dakar», se souvient l’expert en «hydro-diplomatie».
La construction de ce barrage, ainsi que celui de Manantali au Mali dans les années 1980, a permis de faire la différence, notamment dans le recul des maladies diarrhéiques et la fourniture de protéines aux populations grâce au développement de la pêche.
Mais si elle a atténué les conflits potentiels dus à la gestion en commun des ressources hydroélectriques, elle ne les a pas complètement taris.
En effet, selon cet auteur –qui a publié entre autres ouvrages sur les conflits de l’eau, une analyse «L’Eau, enjeu des relations internationales» (mai 2018, éditions du Cherche Midi)–, la raréfaction des sources d’approvisionnement du fait des changements climatiques ou de la construction de barrages en amont est, souvent, à l’origine de conflits transfrontaliers.
L’impact du Mékong sur l’Afrique
Car si l’eau peut devenir une «bombe à retardement» dans le cas où elle ne serait pas bien gérée, la déflagration peut, parfois, dépasser les frontières au-delà des attentes, selon lui. Kabiné Komara cite notamment l’exemple de la chancelière allemande, Angela Merkel qui, à l’instar d’autres dirigeants européens, «a été très affectée par l’afflux de réfugiés venant de Syrie que la Turquie a laissé passer», affirme-t-il. Alors qu’au départ, ceux-ci avaient fui à cause de la sécheresse en Syrie qui a provoqué un exode vers Damas et, donc, une flambée du prix des denrées de première nécessité.
«Avec le rétrécissement du lac Tchad au dixième de sa superficie, on a l’explication de pourquoi Boko Haram s’est aussi durablement implanté. En effet, les activités de pêche et les terres arables ayant diminué, l’organisation terroriste a trouvé là un terreau fertile pour recruter des locaux désœuvrés et les armer contre leur pays respectif. C’est le prototype même d’un conflit venant de la raréfaction de l’eau. Il y a bien une autorité de bassin qui gère le lac Tchad, mais elle est dépassée par ce problème sécuritaire», estime Kabiné Komara.
Que ce soit dans le conflit qui oppose l’Éthiopie à l’Égypte à propos de la construction d’un barrage sur le Nil bleu ou les différents conflits, pour les mêmes raisons, sur le fleuve Niger entre le Nigeria, le Niger, le Mali ou la Guinée, la maîtrise de l’eau en est à chaque fois la cause principale. «D’où l’impérieuse nécessité de gérer avec discernement cette précieuse ressource pour la transformer en facteur de coopération et de paix», insiste-t-il.
Car un conflit de l’eau qui pourrait paraître lointain, celui du Mekong, a un gros impact sur la vie quotidienne des Africains. Comment est-ce possible? Véritable grenier à riz du Vietnam, le troisième plus gros exportateur de riz dans le monde avec la Thaïlande et l’Inde, le delta du Mékong est victime de la construction de barrages en amont par d’autres pays. En cas de sécheresse –comme c’est le cas depuis janvier–, l’eau se met à manquer, affectant ainsi la production de riz. Le Vietnam a déjà prévenu qu’il allait interdire les exportations de riz si cette situation perdurait. Du fait, les prix ont explosé sur le marché mondial.
«Le prix du riz a atteint jusqu’à 600 dollars la tonne. Vous imaginez la charge financière que cela représente pour un pays comme la Guinée qui importe 600.000 tonnes de riz par an? Voilà un autre exemple de mauvaise gestion d’un fleuve, le Mékong, qui affecte non seulement l’Asie mais toute l’Afrique», s’insuge Kabiné Komara.
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